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c’étaient les anciens domestiques et les paysans du village qui restaient ses maîtres préférés. Il avait onze ans lorsque son père le mit en pension chez le vicaire d’Ashley, un professeur très renommé dans le pays, helléniste éminent, mais aussi platonicien, rose-croix, très épris d’alchimie et d’astrologie. Tout de suite le vicaire découvrit chez son élève un esprit docile, curieux, porté au romanesque. Il l’imprégna des symboles et des allégories de son platonisme ; et lorsque, après trois ans, l’enfant le quitta, il lui donna les plus précieux conseils pour sa vie à venir : « Ne parlez point, lui dit-il, de la lumière du Christ qui est en vous, mais gardez-la dans votre cœur : écoutez ce que disent les hommes, mais n’en suivez aucun. Si vous allez à la cour, attachez-vous, quoi qu’il arrive, au parti du Roi et de l’Église ; rappelez-vous l’exemple que vous a donné Socrate dans Criton. »

À Westacre, John trouva son père en compagnie de son frère Eustace et d’un gentilhomme inconnu, qui lui fut désigné comme devant rester auprès de lui pour continuer son éducation. John Inglesant se sentit dès lors attiré, par une sorte de fascination, vers ce nouveau maître. Celui-ci le prit tendrement sur ses genoux, lui fit expliquer des passages de Platon, enfin l’envoya jouer, en disant à son père : « Voilà bien en vérité le sol le plus favorable pour nous que nous puissions trouver dans tout le royaume ! » Un sol excellent, en effet, et qui ne manquerait pas de porter les fruits qu’on attendait de lui : car l’enfant était dès lors choisi pour un rôle politique important. La tendresse conjugale de Charles Ier avait fortifié l’espoir des catholiques ; on considérait comme possible de ramener à la religion romaine, par une adroite diplomatie, plusieurs hauts dignitaires de l’église établie, et d’accord avec un jésuite ami de la reine, le père de John avait formé le projet d’utiliser à ce rôle d’agent docile du parti catholique la fine et souple nature de son fils cadet. Le nouveau maître qu’on lui donnait, c’était ce jésuite, le père Saint-Clare, et cet homme d’un génie supérieur entreprit dès le début un système d’éducation approprié à ses fins.

Il montra à son élève le côté pratique et positif de tout ce que le vicaire d’Ashley lui avait appris à considérer seulement du point de vue idéal. Il l’habitua à voir la contrepartie de toute vérité de raison. Il ne détruisit pas son culte pour Platon, mais il lui prouva que les méthodes socratiques ne sauraient avoir de prise sur les masses, et qu’il fallait leur substituer dans la vie d’autres moyens de persuasion. Et pour prendre plus entièrement possession de son esprit, il résolut enfin de ne pas le laisser se convertir au catholicisme. L’enfant témoignait de singulières capacités