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sentaient alors ballottés en tous sens, attirés tour à tour vers des idéals différens. Le conflit du tempérament anglais primitif, toujours rude et sanguin, et des finesses mondaines ; le conflit des tendances positives et des hautes aspirations poétiques ; le conflit de l’esprit protestant, qui s’exagérait jusqu’au puritanisme, et de l’esprit catholique, revenu à la mode avec Henriette de France : autant de points par où l’âme d’un jeune Cavalier de 1640 s’impose à notre curiosité.

Il est en revanche assez fâcheux que l’auteur de John Inglesant ait cru devoir, dans la seconde partie de son roman, s’étendre sur la peinture des mœurs italiennes du XVIIe siècle, à travers lesquelles il a promené son héros. L’Italie de ce temps était trop différente de l’Angleterre pour que sa description ne constituât pas un sujet nouveau, et un sujet où l’imagination d’un Anglais risquait bien de se trouver gênée. Peut-être aussi l’infériorité de cette seconde partie vient-elle de ce que M. Shorthouse s’est de bonne heure senti fatigué de son effort de psychologie : car si le premier volume de John Inglesant nous offre une curieuse restitution d’une âme d’autrefois, le mérite paraît en être à la conscience érudite de l’écrivain bien plus qu’à son génie naturel, et rien ne prouve que cette conscience ne se soit pas essoufflée avant le terme de l’ouvrage. Voici d’ailleurs, autant que peut en faire juger une rapide analyse, l’histoire des aventures morales de John Inglesant.

Vers la fin de juin 1537, un jeune gentilhomme anglais d’origine flamande, Richard Inglesant, fut chargé par le comte d’Essex d’expulser de leur couvent de Westacre, dans le Wiltshire, des moines catholiques qui refusaient de se rallier à l’Eglise établie. Il remplit fidèlement sa mission ; mais lui-même avait toujours gardé des sentimens catholiques, et l’héroïsme des religieux eut encore pour effet de lui rendre plus chère la foi persécutée : ce qui ne l’empêcha point d’accepter le don que lui fit Essex de l’ancien couvent de Westacre, non plus que de se conformer toujours à toutes les pratiques protestantes, comme il convenait à un courtisan. Son fils Richard, son petit-fils Eustace suivirent son exemple. Ce dernier pourtant avait épousé une dame catholique ; et c’est d’elle que sont nés, à Westacre, en 1622, deux enfans jumeaux, Eustace et John.

La mère mourut des suites de ses couches ; le père emmena à Londres Eustace, considéré comme l’aîné, et John resta seul dans le vieux prieuré où il eut d’abord pour toute instruction une infinité d’histoires mystérieuses ou tragiques, des légendes de miracles, des récits de revenans. Plus tard, le curé de la chapelle lui enseigna le catéchisme et la grammaire latine, mais toujours