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I

L’entreprise, en vérité, leur était plus facile dans leur pays qu’elle ne le serait chez nous. Car, outre qu’en Angleterre il en est des genres et des réputations comme des coupes d’habits, qui ne se démodent jamais tout à fait, les Anglais n’ont pas cessé d’avoir, pour le roman historique, le respect qu’ils ont naturellement pour toutes les choses instructives. Walter Scott, si dédaigné du public français, est resté dans sa patrie infiniment plus populaire qu’on ne serait porté à le supposer. Malgré la fâcheuse insuffisance de ses caractères, il a mis à ses peintures de mœurs une juste observation plastique et un sentiment d’amour-propre national qui longtemps encore lui vaudront l’admiration de ses compatriotes. Depuis, les romans d’Ainsworth, de Charles Kingsley, le Barnabé Rudge et les Deux cités de Dickens, ont maintenu, sans grand éclat d’ailleurs, le genre qu’il avait créé. On peut même dire que, bien avant MM. Shorthouse et Pater, deux écrivains anglais ont essayé de perfectionner le roman historique en animant leurs personnages d’émotions et de pensées appropriées à l’époque où ils les faisaient vivre : lord Bulwer Lytton, dans le Dernier des barons (au moins en ce qui concerne les figures de Hastings et du roi Edouard IV) et Thackeray, dans Henry Esmond[1].

C’est précisément sur le modèle d’Henry Esmond que M. Shorthouse semble avoir construit son histoire de John Inglesant. Comme le livre de Thackeray, son livre est une façon de chronique, la simple biographie d’un personnage qui assiste à de grands événemens plutôt qu’il n’y prend part lui-même. Mais cette ressemblance est tout extérieure : on ne tarde pas à s’apercevoir que, pour avoir restitué très scrupuleusement les mœurs qu’il a décrites, M. Shorthouse s’est toujours préoccupé davantage du caractère même de son héros, et que les événemens qui ont eu pour lui le plus d’intérêt sont ceux qui se passaient dans l’âme de John Inglesant.

Ces événemens, d’ailleurs, ne pouvaient manquer d’être intéressans. John Inglesant est, en effet, le représentant d’une des périodes les plus singulières de la civilisation anglaise, de la période de trouble intellectuel et moral qui a précédé la révolution de 1648. Sous le vent d’influences contraires, les esprits d’élite se

  1. Les œuvres récentes de M. Félix Dahn, en Allemagne, celles de M. Sienkiewicz en Pologne, celles de M. Danilevsky en Russie, pour ne point parler de la Guerre et la Paix, représentent dans le roman historique une évolution analogue.