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Quelque peu fondées que soient de pareilles craintes, on ne se décidera à les surmonter que s’il ne subsiste aucun doute sur l’utilité, pour un naturaliste, d’un séjour de quelques mois dans un jardin botanique de l’extrême Orient. On a fait parfois la réflexion qu’un jardin de ce genre, si grand et si riche qu’on le suppose, ne saurait pourtant donner à lui seul une idée réelle de ce qu’est la végétation d’une forêt vierge, cet irrésistible attrait du scrutateur de la nature vivante. L’observation est des plus justes ; seulement on oublie qu’à Java, comme ailleurs sous les tropiques, l’état primitif et la civilisation se coudoient. A Buitenzorg, demeure des vice-rois, une simple excursion d’un, de deux ou trois jours transporte le botaniste en pleine forêt vierge, tant celle-ci est proche. Il y a plus, et dans la montagne se trouve une succursale du jardin, qui porte le nom de Tjibodas et qui touche la lisière même de la forêt sur laquelle elle a empiété. C’est là que les naturalistes, visiteurs de la station botanique de Buitenzorg, vont passer quelque temps pour faire des observations et recueillir à leur aise les plantes de la forêt vierge. Afin que celle-ci fût à l’abri de toute dévastation de la part des indigènes et gardât son caractère primitif, le gouvernement a pris soin de mettre une étendue d’environ 250 hectares sous la dépendance immédiate du jardin botanique.

Une absence assez prolongée, souvent un congé à obtenir ou une mission à solliciter, les objections de membres de la famille, peu faits aux voyages, ce sont là des obstacles à vaincre lorsqu’il s’agit d’un voyage aux Indes-Orientales. Aussi s’est-on demandé si ce voyage réserve à l’investigateur non-seulement la certitude de constater de nouveaux faits qui se rangent dans des cadres déjà connus ; mais s’il existe beaucoup de chance de découvrir de nouvelles veines, dont l’exploration fournirait à la science des aperçus originaux. Cette question mérite une réponse plus affirmative encore que ne le pensent beaucoup de naturalistes, qui n’ont jamais quitté l’Europe. Il faut avoir vu combien le struggle for life, la « concurrence vitale, » est acharné dans le monde végétal, sous les tropiques, pour bien comprendre à quel point la nature a dû s’épuiser à fournir aux combattans une diversité d’armes offensives ou défensives inconnues partout ailleurs. Il faut, — pour ne citer qu’un seul exemple, — avoir observé soi-même ces arbres de haute stature, couverts jusqu’à la cime d’une végétation touffue de parasites et d’épiphytes, pour concevoir, avec le genre de vie qui leur est particulier, l’existence chez ces lutteurs, d’une foule d’adaptations spéciales dont on commence à peine à entrevoir l’origine et le fonctionnement. C’est seulement après avoir éprouvé en personne la surprise causée par l’aspect de la