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que l’Europe est pour le moment, de propos délibéré, à la paix, parce qu’elle se détourne d’un avenir qu’elle sait plein de mystères, pour ne songer qu’à l’heure présente, aux affaires d’administration intérieure, à ces réformes que tout le monde se propose d’accomplir.

C’est l’obsession du jour ! Qu’on suive du regard l’empereur Guillaume II, ce souverain qui a débuté dans le règne par tant de paroles à demi belliqueuses : il est l’exemple vivant des princes zélés pour les œuvres de la paix. Il ne pense qu’à la paix : il est infatigable et intarissable ! Il a fait ses études, on le voit bien ; il a des idées sur tout, sur l’organisation de l’industrie comme sur l’organisation de l’armée, sur la réforme sociale, sur les réformes financières, sur l’enseignement professionnel, — et sur tout il a des discours toujours prêts. Ces jours derniers encore, entre une allocution à de jeunes soldats sur le serment et l’apothéose de son aïeul, le grand électeur, le fondateur de la Prusse, il prononçait devant une commission de réformes scolaires un discours hardi, pétulant, mêlé peut-être de beaucoup d’illusions, sur la direction de l’enseignement nouveau.

Prince étrange, à la physionomie originale et compliquée, tour à tour ou tout à la fois soldatesque et socialiste, mystique, féodal et moderne, — très moderne dans son langage comme dans ses programmes. Évidemment Guillaume II a gardé un mauvais souvenir des années qu’il a passées au lycée, sous l’indulgente surveillance de son ancien précepteur, aujourd’hui conseiller intime, M. Hinzpeter, — de l’ancien régime scolaire. Il lève le drapeau de la révolte contre l’ancien régime ! Il confond dans ses discours et dans ses piquans anathèmes les vieilles études, les vieilles méthodes, le « surmenage, » le latin, — la « composition latine ! M les philologues, les raffinés de l’érudition, l’instruction classique qu’il accuse de ne produire que des « déclassés, » le « prolétariat des bacheliers. » Il a dû faire frémir les vieux professeurs, les vieux savans de la vieille Allemagne, M. le conseiller intime Hinzpeter lui-même, qu’il avait à ses côtés, qu’il a gaîment appelé un u philologue enthousiaste. » Et lui aussi, il a le langage du jour, il est pour un enseignement rajeuni, national, qui ne sera pas l’enseignement ancien, pour les humanités modernes qui ne seront pas les humanités classiques. On ne voit pas bien, à la vérité, comment cet enseignement nouveau produira moins de déclassés que l’ancien, comment on fera mieux des hommes en supprimant l’étude de cette nourricière antiquité, qui a formé tant de générations viriles et fortes, qui a été la source des plus belles civilisations ; mais ce sont les idées nouvelles ! Il y a, par exemple, une chose que l’empereur Guillaume II n’oublie pas. Ce qu’il demande surtout à l’enseignement réformé, c’est de lui donner des soldats qui ne soient pas myopes ou étiolés dans les écoles, des soldats alertes et vigoureux, en sachant assez pour être de