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Cracovie à Podgorzé en traîneau et s’arrêtait devant le poste de police, demandant à montrer son passe-port au caporal.

— Maudit juif ! grogna celui-ci, qu’avais-tu besoin de nous déranger par un temps pareil ?

— Si je vous ai troublés dans votre repos par ce temps froid, monsieur le caporal, dit humblement Demboski, je serai très heureux de pouvoir vous offrir, à vous et à ces messieurs, un excellent cordial qui vous fera vite oublier le désagrément que j’ai le avoir causé.

Il sortit de son traîneau une bouteille d’eau-de-vie qu’il distribua généreusement au caporal et à ses soldats. Il était à peine parti que tout le monde ronflait dans le corps de garde. La sentinelle placée à l’entrée du pont, ayant eu part à la distribution, s’était endormie de son côté et s’était affaissée au pied d’un pilier, son fusil entre les bras. Un quart d’heure à peine plus tard, huit grands traîneaux, chargés d’armes et de munitions, traversaient le pont sans rencontrer le moindre obstacle. Et, dans la même nuit, Henryka retournait à Cracovie.

La révolution allait enfin éclater ; mais, au dernier moment, le plan des conjurés fut encore traversé par des difficultés imprévues. Par suite de l’agitation qui se manifestait dans Cracovie, le gouvernement autrichien envoya le général Collin avec une brigade. Il prit possession de la ville malgré les protestations du sénat et plaça des postes de cavalerie dans tous les villages environnans.

Néanmoins, il y eut un conseil de guerre, chez M. de Wiedzicki, entre les principaux chefs de la conspiration, et ce fut le projet de Demboski qui l’emporta. On décida de rassembler sur-le-champ toutes les bandes d’insurgés des alentours, de faire prisonniers tous les postes de cavalerie dans la même nuit et d’attaquer, le lendemain, le général Collin dans sa position de Cracovie.

Les rôles furent immédiatement distribués. Demboski était chargé de surprendre le détachement de chevau-légers de Krésowizé. Il partit, accompagné d’Henryka. A son arrivée, il trouva les propriétaires des villages voisins avec une troupe de cavaliers bien armés. La nuit et l’insouciance des Autrichiens aidant, la surprise réussit parfaitement. La moitié des chevau-légers furent tués, le reste faits prisonniers. Leur commandant seul, le lieutenant Berndt, quoique blessé de deux coups de feu, parvint à sauter sur son cheval et à gagner la grande route qui mène à Cracovie. Il lui fallait passer au milieu des insurgés ; s’il réussissait à s’échapper, à porter la nouvelle au général et à donner l’alarme à la garnison, le plan de Demboski allait probablement échouer et la partie était perdue.