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pas rare de rencontrer, dans les musées ou dans les collections privées, des peintures dont les dimensions primitives ont été modifiées suivant les convenances de leurs possesseurs. Désireux de les exposer à une place déterminée ou d’utiliser un cadre, ceux-ci les rognaient ou les agrandissaient sans vergogne, ou bien ils convertissaient en ovales des toiles rectangulaires. Quant à ce « modèle exact » qu’invoque Van Dyk à l’appui de son dire, et qui, pendant longtemps, avait passé pour une esquisse ou une répétition originale de la Ronde de nuit, c’est, en réalité, une copie exécutée par un peintre de sujets champêtres nommé Gerrit Lundens et à peu près contemporain de Rembrandt[1]. Faite avant le transport de la Ronde de nuit à l’hôtel de ville, cette copie, assez. fidèle dans l’ensemble, nous montre, en effet, la composition du maître dans son intégrité et concorde entièrement, d’ailleurs, avec l’aquarelle de l’album de M. de Graeff van Poelsbroek[2]. La similitude des proportions de l’une et de l’autre permet d’évaluer la dimension des bandes rognées autrefois à la toile de Rembrandt à 0m,67 sur la longueur et 0m,28 sur la hauteur. Nous pouvons donc, à l’aide des renseignemens dont nous disposons aujourd’hui, reconstituer par la pensée l’état antérieur à ces retranchemens et reconnaître qu’à l’origine la composition, mieux en toile, offrait dans le bas un jeu suffisant et sur les côtés un espace tranquille, enveloppé dans une demi-teinte. De plus, le groupe central, tout en conservant son importance, ne partageait pas, comme maintenant, en deux parties absolument égales le tableau, dont les masses étaient ainsi plus librement équilibrées, suivant un rythme plus harmonieux.

Bien qu’elles fussent aussi mieux entendues dans l’œuvre primitive, l’ordonnance du clair-obscur et la répartition des valeurs ne laissaient pas d’y présenter cependant quelques défauts : un fractionnement excessif de la lumière, des contrastes trop multipliés et offrant entre eux des écarts trop marqués. Mais si l’on ne saurait absoudre entièrement le maître de quelques-unes de ces fautes, d’autres ne sont pas non plus de son fait et proviennent uniquement des injures qu’a subies son œuvre avant d’arriver jusqu’à nous. On ne prenait pas grand soin des tableaux dans ces Doelen, qui étaient, à proprement parler, de véritables estaminets. La fumée des pipes et celle des feux de tourbe entretenus dans ces grandes salles devaient, à la longue, ternir les ouvrages qui y

  1. Après avoir fait partie de la collection Randon de Boisset, la copie de Lundens appartient aujourd’hui à la National Gallery.
  2. C’est probablement la copie de Lundens qui a servi à Claessens pour la gravure assez médiocre qu’il a faite de la Ronde de nuit en 1797.