Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Italie, Keilh a fourni lui-même à Fr. Baldinucci les détails précieux que celui-ci nous a transmis sur Rembrandt, dans une notice dont, à notre avis, on n’avait pas tiré jusqu’ici un parti suffisant[1]. Au dire de Keilh, bien posé pour connaître les intentions de son maître, c’est bien, en effet, d’une Prise d’armes (ordinanza) qu’il s’agit ici, et comme, en réalité, Banning Cocq commandait la compagnie des gardes civiques de la première circonscription de la ville (Wyk n° 1), il est possible, ainsi que le remarque M. Meyer, qu’une question de voisinage ait aussi milité en faveur du choix qu’on avait fait de Rembrandt. Celui-ci, ayant habité dans ce quartier jusque vers le milieu de 1639[2], avait dû se trouver en rapport avec quelques-uns des membres de cette compagnie, et certainement il avait assisté plus d’une fois à des scènes analogues à celle qu’il a peinte. La composition à laquelle il s’arrêta est trop connue pour qu’il soit nécessaire de la décrire, et il n’est pas besoin non plus de rappeler à nos lecteurs les pages charmantes que Fromentin lui a consacrées ici même. Mais si le jugement que ce fin critique en a porté subsiste dans son ensemble, il convient de le rectifier sur plusieurs points. Tout en maintenant certaines réserves faites par lui, nous croyons qu’il est juste de décharger Rembrandt de quelques-unes des erreurs qui lui ont été imputées, et dont il n’est pas coupable. En ces derniers temps, la Ronde de nuit a été l’objet d’études nombreuses et intéressantes. Son histoire est désormais mieux connue, et bien des particularités curieuses nous ont été révélées sur les circonstances dans lesquelles elle a été exécutée, sur ses déplacemens successifs, sur les changemens et les mutilations qu’elle a subies. Enfin, le tableau lui-même a repris depuis l’an dernier un éclat merveilleux, grâce à un travail délicat dont M. Hopman s’est acquitté avec autant d’habileté que de prudence. Il y a donc lieu de tenir compte de ces élémens nouveaux d’appréciation et de voir dans quelle mesure ils peuvent modifier les idées de la critique au sujet d’une œuvre qui a déjà suscité de sa part tant de controverses.

Dans son empressement à traiter un sujet qui l’avait séduit, Rembrandt s’était mis aussitôt à la besogne. Bien que l’épisode choisi fût à la fois très compliqué et présentât de grosses difficultés, il semble cependant qu’il aborda cette grande toile sans une préparation suffisante. Du moins on n’en connaît pas d’esquisse d’ensemble. Tout au plus pourrait-on retrouver, dans un dessin à la plume appartenant à M. L. Bonnat, un croquis sommaire fait pour

  1. Cominciamento e Progresso dell’arte dell’intagliare in rame, par Fr. Baldinucci ; Florence, 1686, in-4o.
  2. Ce n’est que dans le courant de l’été de cette année que Rembrandt s’installa dans sa maison de la Breestraat, où il devait rester jusqu’après sa déconfiture en 1656.