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d’une assez grande autorité, et c’est d’elles qu’en 1578 le bourgmestre et les échevins tenaient leur élection. Afin de neutraliser leur importance, une garde municipale avait été organisée l’année d’après, et en 1580 Guillaume d’Orange décrétait la fusion de ces deux corps. Divisés en plusieurs compagnies correspondant aux sections de la ville, ces gardes civiques, de concert avec des agens spéciaux, étaient chargés de veiller à la sécurité publique et de fournir chaque jour le nombre d’hommes nécessaire pour les patrouilles et les postes. Plus que partout ailleurs, les divers commandemens de ces milices bourgeoises étaient fort recherchés ; mais peu à peu les parades et les festoiemens avaient succédé à la simplicité des premiers temps. Ce caractère de luxe et d’ostentation, nous le trouvons dans les tableaux de Cornelis Ketel, un artiste alors très en vue, très justement apprécié à Amsterdam pour son talent de portraitiste et désigné par conséquent au choix des officiers de la garde civique qui voulaient paraître avec honneur sur les murailles de leur Doelen. Les tableaux du Ryksmuseum attribués à Ketel ne suffiraient guère à justifier sa réputation ; ils sont, en effet, pour la plupart, sinon douteux, du moins endommagés par le temps ou par les restaurations qu’ils ont subies. Quoiqu’il ait également souffert, celui qui porte la date de 1588 et qui représente la compagnie du capitaine Dirck Rosecrans assemblée dans le local de ses réunions, peut cependant nous donner quelque idée de son talent. Disposés suivant une longue frise, les personnages qu’il contient sont peints en pied et de grandeur naturelle ; mais nous croirions volontiers que les armes de prix qu’ils portent si fièrement, sans avoir jamais figuré dans aucun combat, ont été empruntées aux panoplies de quelque musée. On en imaginerait difficilement de plus belles, de plus enjolivées : cuirasses, rondaches ciselées, hallebardes, mousquets garnis d’ivoire, lourdes épées à deux mains ou fines lames à poignées artistement découpées, la collection est des plus complètes. Les costumes sont à l’avenant, diaprés, éclatans, des couleurs et des étoffes les plus variées. Sveltes, cambrés et bien pris dans leurs pourpoints, finement chaussés, les jambes serrées dans des bas de soie, le poing sur la hanche, la lance à la main, appuyés sur leur hallebarde, ou portant la bannière de la compagnie, tous ces jolis muguets se carrent, se pavanent, essaient à qui mieux mieux d’attirer l’attention. Les visages seuls montrent quelque énergie ; très nettement caractérisés, avec autant de pénétration que de sûreté, ils attestent le talent du maître. Mais quelle singulière troupe ! À voir leur désinvolture, leurs accoutremens, leurs poses, on dirait non des Hollandais, mais des raffinés du temps d’Henri II, de beaux seigneurs rompus à toutes les élégances de la mode. De fait, l’artiste, croyant sans