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sur laquelle sont placés du pain, deux cruches de bière et deux chétives volailles à l’ossature saillante. Le régal assurément est assez mince, et c’est probablement la modicité de ce menu qui a valu à cet ouvrage le titre de Grand gala à un pfenning. Cependant, les convives font bon accueil à si maigre chère ; l’un d’eux même chante à gorge déployée. Tous ont des visages rudes et énergiques. Vers le haut de la toile, on aperçoit figuré sur un vitrail le patron du Doelen, un saint George à cheval. Dans le tableau de 1554, les personnages sont disposés sur trois files et l’un d’eux tient un faucon, un autre un hareng, un troisième une pomme. Cédant au courant d’italianisme qui, à cette date, commençait à envahir l’art des Pays-Bas, Teunissen a cru de bon goût d’emprunter à la campagne romaine le paysage qui sert de fond à sa composition : des ruines de temples avec un obélisque et une pyramide, et ces braves gens, avec leurs types franchement hollandais, semblent tout à fait dépaysés au milieu de cette nature. L’artiste, évidemment désireux de se distinguer de ses prédécesseurs, s’est mis hors de propos en frais d’imagination, mais il n’a pas su tirer de son sujet lui-même les ressources qu’il pouvait lui fournir. Dans un autre de ses tableaux exposé au Ryksmuseum et daté de 1657, nous le voyons multiplier outre mesure les intentions ; les dix-sept sociétaires qu’il a groupés en deux rangées superposées tiennent en main les objets les plus hétérogènes : une arquebuse, une tête de mort, un plat, un pot de bière, une plume, un verre de vin, etc. Les gestes sont gauches, les poses raides et compassées, les mains maigres, anguleuses et contournées. Quant aux figures elles-mêmes, comme s’il craignait de ne pas accuser suffisamment leur ressemblance, Teunissen a exagéré les différences de leurs types individuels et tellement insisté sur les contrastes des physionomies qu’il a poussé jusqu’à la charge l’accentuation de leurs traits. Avec leurs visages et leurs expressions farouches, quelques-uns ont une laideur presque bestiale et d’autant plus désagréable que tous regardent fixement le spectateur.

C’est un bien autre artiste que ce Dirck Barentsz qui, né à Amsterdam en 1534, fils et élève d’un peintre remarquable nommé Doove Barent, contribua largement pour sa part à orner les Doelen de sa ville natale. Le Ryksmuseum possède deux de ses ouvrages datés de 1565 et de 1566. Dans le premier, qui est aussi le mieux conservé, il a, comme d’ordinaire, disposé sur deux rangs quatorze membres de la garde civique, mais sans que cet arrangement présente la régularité absolue ou l’incohérence affectée des compositions de ses prédécesseurs. Le parallélisme des lignes est, en effet, interrompu dans la rangée inférieure, dont les figures, moins immobiles, plus librement agencées, ont aussi plus de naturel et