Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rubens son suprême éclat. Le génie du maître, son éducation, ses qualités décoratives, son art un peu cosmopolite et ce mélange d’italianisme qui s’alliait chez lui au vieil esprit flamand s’accordaient merveilleusement avec cette restauration de l’autorité espagnole et de la religion. Mais si à l’exemple de ses prédécesseurs immédiats ou de ses contemporains, comme M. de Vos, G. de Crayer, Martin Pépyn et P. van den Plas[1], Rubens a peint parfois pour certaines corporations des tableaux tels que la Descente de la Croix, exécutée en 1610 pour les arquebusiers d’Anvers, la Pêche miraculeuse de 1618 pour la chapelle des Poissonniers à Notre-Dame de Malines et la Vierge au Perroquet pour la société de Saint-Luc, il avait assez à faire, malgré sa prodigieuse fécondité, pour s’acquitter des commandes que lui adressaient à l’envi les souverains et les congrégations religieuses comme les récollets, les carmes et les carmélites, les augustins et les augustines, les capucins, les chartreux et les jésuites. On sait que l’église de ces derniers, à Anvers, ne possédait pas moins de trente-neuf de ses grandes compositions.

Ce n’est guère qu’à titre d’exception que nous pourrons signaler, parmi tous ces tableaux de corporations, une peinture d’Antoine Sallaert et deux autres de David Teniers qui répondent d’une manière excellente à leur destination. Il est vrai que deux d’entre elles étaient destinées à consacrer le souvenir de traits d’adresse princiers. Le 15 mai 1615, l’infante Isabelle qui aimait à se mêler aux récréations populaires, assistant à Bruxelles au tir du Grand-Serment, près de l’église du Grand-Sablon, avait elle-même atteint l’oiseau placé à la hauteur du clocher de cette église. Comme on peut le penser, un pareil succès avait été fêté par la foule et non-seulement la princesse était proclamée reine du Serment, mais pour reconnaître un événement si extraordinaire, la commune de Bruxelles lui votait un présent de 25,000 florins, et Sallaert était chargé de retracer le souvenir de cette action[2].

En 1652, le jour de la fête du Grand-Serment des archers de Bruxelles, l’archiduc Albert, invité aussi à tirer, avait également abattu l’oiseau, aux acclamations des magistrats et du populaire réunis sur la grande place. C’est cet épisode qu’à son tour Teniers

  1. Les Musées de Bruxelles et d’Anvers possèdent divers tableaux commandés à ces différens maîtres par plusieurs corporations marchandes ou charitables, tous conformes aux types déjà connus.
  2. Isabelle fît, d’ailleurs, un généreux usage de cette somme dont les revenus furent employés à doter annuellement six jeunes filles pauvres et méritantes. Un autre tableau de Sallaert, pendant du premier, représente la Procession solennelle, dite Procession des pucelles du Sablon, qui eut lieu à l’occasion de la cérémonie où, pour la première fois, cette dotation fut distribuée.