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viande sont faites aux pauvres après la messe. Tous les membres de la corporation doivent assister aux enterremens de leurs camarades défunts, dont ils portent eux-mêmes le cercueil au cimetière et, au retour, un repas leur est servi. Mais c’est surtout dans les processions que se manifestent le luxe et la pompe décorative qui répondent au goût de cette époque. Ces processions sont suivies par tous les corps de métiers avec leurs bannières, leurs dais, leurs reliquaires, leurs chandeliers, leurs blasons allégoriques et les statues des saints patrons des diverses communautés. Comme les trajets sont longs et que quelques-uns de ces objets sont parfois assez lourds, des serviteurs chargés de cannettes de vin ou de bière accompagnent les porteurs pour les réconforter de temps à autre[1]. Des indemnités de costume sont accordées aux dignitaires afin que leur tenue lasse honneur à la gilde, et l’on vérifie chaque année le drap et l’état de ces costumes.

Peu à peu, l’amour-propre aidant, l’usage s’était établi qu’à l’expiration de la charge qui leur avait été confiée et pour en conserver la mémoire, les dignitaires fissent un cadeau à la gilde. Cette gilde étant une véritable confrérie, on l’honorait surtout dans la personne de son patron : c’était un vitrail en l’honneur de ce saint, des vases sacrés ou des ornemens destinés à la chapelle qui lui était dédiée. Mais les tableaux étaient de nature à flatter davantage encore la vanité des donateurs, puisqu’ils leur procuraient l’occasion, en s’y faisant représenter, de perpétuer le souvenir des fonctions qu’ils avaient remplies. C’était là une pratique déjà ancienne, encouragée par le clergé comme pouvant contribuer à l’édification des fidèles et susciter parmi eux les libéralités et les pieuses fondations qui leur étaient ainsi proposées pour exemples. On ne l’a pas assez remarqué, ces portraits de donateurs, que les maîtres primitifs nous montrent debout ou agenouillés sur les volets des triptyques des cathédrales, ont puissamment aidé aux progrès de la peinture à ses débuts. Tant qu’il ne s’était agi pour celle-ci que de représenter le Christ, la Vierge et les saints, les formes hiératiques et les attributs conventionnellement assignés à ces diverses figures pouvaient suffire à en évoquer l’idée ; mais l’obligation de donner à des personnages vivans leur ressemblance exacte et de la rendre reconnaissable pour tous avait forcé les peintres à perfectionner la technique de leur art et, en étudiant de plus près la nature, à préciser et à assouplir leur dessin, à rechercher tour à tour la finesse du modelé et la vérité du coloris ; à démêler enfin dans une physionomie humaine les traits essentiels, ceux qu’il importe surtout d’exprimer fidèlement.

  1. Félix de Vigne ; op, cit., p. 71, 72.