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la France méditerranéenne. Ces derniers font plus de bruit et séduisent par le grandiose de leurs conceptions ; les Soudanais ont des visées plus modestes et d’apparence plus pratique.

Voici leur programme dans ses lignes principales : extension de nos postes sur le Haut-Niger ; double mouvement de pénétration, vers l’est, dans la direction du Soudan central, vers le sud, jusqu’à nos établissemens de la côte d’Ivoire ; soumission par les armes du sultan Ahmadou, déjà à demi vaincu ; reconstitution des groupemens indigènes en vue de refouler les dominateurs Peul, Touareg et Toucouleur que nous rencontrerons plus loin sur notre route ; affermissement de notre protectorat sur le Fouta-Djallon, sur les états de Samory et le royaume de Khong ; continuation jusqu’à Bammako, sur le Niger, du chemin de fer de Kayes à Bafoulabé, cette voie fameuse par ses péripéties lamentables, construite, abandonnée, refaite, et qui fonctionne à nouveau sur un parcours de 130 kilomètres. Le tronçon nécessaire pour relier les deux fleuves n’aurait que 250 kilomètres sans ouvrages d’art, ce projet n’a rien d’exorbitant. Enfin, ouverture de la navigation sur le Niger jusqu’à Say, qui deviendrait l’entrepôt du Soudan central, directement relié à Saint-Louis et à Dakar par des voies fluviales et ferrées.

À ce programme, les pessimistes opposent de graves objections. On les trouvera résumées dans la remarquable étude de M. le capitaine Le Châtelier sur le Soudan français. L’action militaire contre les dominateurs musulmans sera très dure. « Toute tentative de pénétration dans la vallée du Niger, en aval de nos postes, provoquera inévitablement des résistances que la force seule pourra vaincre. » Ces pays ne peuvent être une colonie de peuplement, vu l’insalubrité du climat pour les Européens. Or, ils manquent de bras indigènes. On y compte 2,5 habitans par kilomètre carré. (La France, qui en a trop peu, en a 71.) Tombouctou n’est plus qu’une ruine, l’ombre d’un grand nom ; le trafic est disséminé sur d’autres points, et ce trafic vit presque uniquement de la vente des esclaves. Le sol lui-même est médiocre, pauvre en essences forestières : « En résumé, dit notre auteur, l’importance économique de nos possessions soudaniennes est presque négative jusqu’ici ; leurs chances de prospérité futures sont restreintes. Le pays n’est pas dépourvu de ressources naturelles ; mais ses productions sont telles et leur exploitation offre de telles difficultés, si peu d’avantages, même en supposant aplanis les obstacles résultant du manque de bras, de la cherté des transports, qu’il doit être classé, tout compte fait, parmi les contrées pauvres. Comparativement aux autres régions tropicales, il a tout au plus la valeur de la Sologne, des landes de Gascogne, par rapport