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comme un muet ; Louis XIV le condamnait à être à jamais séparé du monde, à la fois muet, sourd, aveugle ; en vérité, comme un mort.

Il ne fut pas frappé seul. Tous les siens furent envoyés en exil : sa mère, sa femme, son frère Gilles à Montluçon, son gendre et sa fille à Ancenis, l’archevêque de Narbonne à Alençon, l’évêque d’Agde à Villefranche, l’abbé Foucquet à Bazas. On n’eut garde d’oublier les juges. « Les treize, était-il dit dans un mémoire de Colbert, les treize qui ont été favorables au sieur Foucquet, et qui sont les mêmes qui ont toujours été contraires à ce qui a été avantageux au service du roi, le seront encore en toutes choses. » Rocquesante, le premier qui, après d’Ormesson, avait émis un avis conforme, fut exilé à Quimper ; tous les autres, à commencer par l’héroïque Masnau, lurent notés et mis comme en surveillance. D’Ormesson ne se releva jamais de la disgrâce.

Il faut voir maintenant les conséquences financières du procès, du moins en ce qui regarde Foucquet personnellement ; ce sera la contre-épreuve de l’accusation et de la défense. L’accusation avait prétendu que les richesses du concussionnaire étaient incalculables et que la confiscation allait dégager les finances du roi ; la défense répondait que les dettes du surintendant étaient supérieures à son avoir, qu’au jour de son arrestation il était moins aisé qu’au jour de son entrée aux affaires. Qui avait raison ? qui avait tort ? On le vit bientôt quand, de tous côtés, les créanciers affluèrent et réclamèrent. Pour la confiscation, l’arrêt du 20 décembre demeura bel et bien lettre morte. Mme Foucquet fut admirable. Ayant pris à cœur de faire honneur à la parole et au seing de son mari, elle n’hésita pas à sacrifier sa fortune personnelle ; et, pendant plus de vingt ans, elle persévéra dans son œuvre. Par un arrangement conclu en 1673 avec les créanciers, il ne lui restait plus que 1,950,000 livres de dettes à éteindre. Elle avait conservé le grand domaine de Vaux, bien déchu, il est vrai, de sa magnificence quand il fut acquis enfin par Villars ; elle avait conservé à ses enfans Belle-Isle même et d’autres terres encore.

Les généreux efforts de cette noble femme, Foucquet ne les put connaître que bien tard.


XI

L’histoire d’un prisonnier est bientôt faite. Le 22 décembre 1664, aussitôt après la notification légale de l’arrêt rendu contre lui