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tentations ; les plus grands hommes en ont été tourmentés et ne les ont jamais estimées volontaires. Ainsi, c’est mal parler que d’appeler un dessein ce qui n’est qu’une pensée, et c’est être injuste que de confondre la pensée avec la résolution, et cette résolution avec une exécution, et cette exécution avec une consommation ; ce sont toutes choses distinctes et tellement séparées que les unes rendent un homme criminel, et les autres ne donnent pas la moindre atteinte à son innocence. »

Nouvelle péripétie : le premier président de Lamoignon, suspect d’impartialité, avait été doucement reconduit au palais ; accusé d’insuffisance, Talon, le procureur-général, y fut brusquement renvoyé. Colbert lui fit substituer Chamillart, un maître des requêtes. Le nouveau-venu voulut d’emblée traiter de haut d’Ormesson, le rapporteur, qui le remit froidement à sa place. Il en était de d’Ormesson comme de Lamoignon ; après être entré à la chambre avec des préventions contre Fouquet, il avait été frappé de l’animosité de ses ennemis et scandalisé de leur sans-gêne en tout ce qui touchait aux saisies, à l’instruction, à la procédure. A mesure qu’il entrait plus avant dans l’affaire, qu’il en scrutait avec plus de soin les profondeurs, il trouvait plus de griefs allégués qu’il ne rencontrait de preuves probantes ; il devenait donc plus réservé, plus attentif, et dans son rôle de rapporteur, plus jaloux de son indépendance. Une fois déjà le roi l’avait fait venir et lui avait recommandé, non la justice, « connoissant bien qu’il n’avoit pas d’autre sentiment, » mais la diligence.

Dans le cours de l’instruction, les registres de l’épargne avaient dû être vérifiés par des commissaires dont étaient notamment Voysin et Pussort, et de cette vérification avaient été dressés des procès-verbaux qui étaient pour la plupart l’œuvre de leur agent Berryer. Infatigable dans ses réclamations, Foucquet avait obtenu communication de ces procès-verbaux, et tout de suite il y avait reconnu ou soupçonné des falsifications ; de là, requête de sa part en inscription de faux. Chamillart conclut au rejet de la requête ; d’Ormesson, par 19 voix contre 5, la fit admettre. L’examen des registres et des procès-verbaux suspects se fit à la Bastille où Foucquet avait été amené de Vincennes. Il y eut encore là matière à prise entre d’Ormesson et Chamillart, et comme le chancelier paraissait incliner à celui-ci, d’Ormesson finit par lui dire : « Je n’admets pas qu’on me donne le fouet tous les matins ; M. de Chamillart est une manière de correcteur que je ne souffrirai pas. » En fait, les procès-verbaux étaient entachés de falsifications, ratures, grattages, corrections, surcharges, l’un surtout, qui se rapportait au plus grave des chefs d’accusation, à savoir le