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Mais c’est là matière à philosopher ; et nous cherchons les moyens pratiques de faire triompher notre civilisation, avec ses tares et ses bienfaits, dans un monde où le mouvement de l’histoire la pousse invinciblement. L’Islam est le plus grave péril pour notre œuvre ; il peut la ruiner, s’il concentre sa force religieuse et politique contre les nations européennes, divisées par leurs compétitions jalouses. On ne fait pas ici le procès à la religion musulmane ; considérée d’une façon abstraite, elle demeure, malgré les préjugés vulgaires, une des plus belles philosophies monothéistes où se soit élevé l’esprit humain. Mais dans l’application, une doctrine vaut ce que valent les races qui la propagent ; or, les propagateurs de l’Islam en Afrique sont de beaucoup inférieurs, et ce n’est pas peu dire, aux premiers propagateurs du christianisme en Amérique. Les « raisons du Rouwenzori, » s’il les donnait, seraient encore plus lamentables que les « raisons du Momotombo. » Nous devons disputer les peuples noirs à l’Islam, qui ne peut rien pour leur relèvement, parce qu’il leur arrive par des intermédiaires barbares. Le problème est complexe ; car sur d’autres points de l’Afrique, nous ne pouvons avancer qu’en ménageant les droits acquis des musulmans. Deux des grandes puissances, l’Angleterre et la France, sont des puissances musulmanes ; leurs progrès seront subordonnés au concours actif de leurs sujets mahométans, anciennement ralliés. Les grands et faciles succès obtenus par la Russie dans l’Asie centrale sont dus uniquement à l’emploi intelligent des musulmans déjà gagnés. Vis-à-vis de ces exigences contraires, il ne saurait y avoir une politique africaine invariable, propre à toutes fins ; au risque de paraître contradictoire, notre politique doit être très souple, différente selon les circonstances et les terrains d’action. Cela est surtout vrai pour la France ; si elle n’agit pas avec vigueur et prudence, elle aura à supporter le premier choc de l’Islam, au pied des citadelles où il est le plus redoutable. Cette conviction doit commander tous les efforts dont il me reste à parler, en ramenant les choses d’Afrique à notre point de vue national.


IV.

Nous voici en possession de notre champ de travail, franc de toutes revendications, définitivement classé sur le nouveau cadastre de l’Afrique. Ce champ est le plus grand de tous, sinon le meilleur ; il occupe un cinquième du continent. Abaissez une ligne oblique des syrtes tunisiennes à Say, sur le Niger ; prolongez-la de ce point jusqu’à la côte d’Ivoire, dans le golfe de Guinée ; sauf le Maroc et quelques petites enclaves côtières, tout le renflement