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Florentins, qui avaient bien dû le croire, « qu’il venait pour leur bien et bon état, et pour les mettre en paix ensemble. » Grâce à lui, le revirement depuis longtemps imminent s’accomplissait enfin : les Noirs, avec leur clientèle de popolani, arrivaient aux hautes magistratures, dont les Blancs étaient dépossédés ; Corso Donati, rappelé de son exil, rentrait en triomphe, et commettait de tels excès que Boniface, inquiet, lui envoyait le même médiateur, le cardinal d’Acquasparta, qu’on n’écoutait pas plus que sous le précédent régime. Enfin, après des rixes nombreuses et sanglantes, la paix se rétablissait tant bien que mal, grâce à un arrêt de proscription qui frappait les principales familles du parti des Blancs. Une loi, — l’éternelle loi de vengeance que rêvent tous les partis quand ils viennent de chasser leurs adversaires, — permit au podestat l’examen rétrospectif des actes des hauts fonctionnaires, et le 27 janvier 1302, le podestat en charge, Cante dei Gabrielli, usant de ce droit, introduisait le nom de Dante dans la sentence qu’il rendait contre trois de ses co-partisans. Les quatre proscrits étaient déclarés coupables de fraudes commises dans l’exercice de leurs fonctions, de gains illicites, d’extorsions iniques en argent et en nature, de prévarication, d’intrigues électorales, d’avoir fomenté le trouble à Florence et semé la division à Pistoja, et « enfin » d’avoir ordonné l’expulsion des « citoyens qu’on désignait sous le nom de Noirs. » Ils étaient condamnés à payer 5,000 livres d’amende dans les trois jours ; s’ils ne payaient pas, leurs biens, dévastés et détruits, appartiendraient à la commune ; s’ils payaient, ils n’en seraient pas moins exilés pour deux années, loin des confins de la Toscane ; dans un cas comme dans l’autre, leurs noms seraient inscrits comme faussaires et prévaricateurs dans les statuts du peuple, et ils ne pourraient jamais plus revêtir aucune magistrature.

Dante, comme le prouve un de ses cauzones, accepta fièrement cette sentence, dont l’opprobre n’a pas rejailli sur lui. Dans l’impossibilité où elle se trouve de réviser l’arrêt de Cante dei Gabrielli, la postérité se refuse à y voir autre chose qu’un acte de haine et de vengeance politique. Mieux que des documens, l’œuvre entière de Dante proteste contre de telles accusations, et son œuvre est un document aussi, un document presque muet sur sa vie, c’est vrai, mais où l’on trouve son caractère, sa pensée et son cœur.

La condamnation fut confirmée et aggravée par un nouvel arrêt du 10 mars 1302, qui s’étendait à quatorze nouveaux condamnés : le podestat rappelait les motifs de la condamnation ; selon les ordonnances qui réglaient la contumace, il déclarait les prévenus