Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éducation et ses études. Mais nous en sommes réduits aux généralités de Boccace et des biographes anciens, que les biographes modernes ont longtemps amplifiées, et ces généralités, qui font de Dante un enfant prodige, ne nous fournissent aucun renseignement précis. Il faut repousser la légende qui lui donne pour maître Brunetto Latini. Elle n’a d’autre fondement que ce vers de l’Enfer, où Dante rencontre le philosophe dans le cercle des Violents :

«… J’ai toujours présente à l’esprit… votre chère et bonne image paternelle quand, dans le monde, vous m’enseigniez comment l’homme s’éternise… »

Quel que soit le sens de cette expression mystérieuse, elle ne peut signifier que Brunetto fut chargé, à un titre quelconque, d’instruire le futur poète de la Comédie, car en 1273 déjà, au moment où Dante avait huit ans et aurait pu, au plus tôt, étudier le « comment l’homme s’éternise, » l’auteur du Trésor, revenu de l’exil, était secrétaire du conseil de la République florentine, fort estimé de ses concitoyens, si directement mêlé à leur politique, qu’il fut un des premiers à remplir la charge nouvellement créée de prieur (1283). Or une existence d’homme d’État, surtout en ces années agitées, n’est guère compatible avec des fonctions de précepteur ou de maître d’école. — J’ajouterai que, d’après les renseignemens que Dante nous donne lui-même sur ses lectures, il ne paraît point avoir étudié d’une façon méthodique : en effet, il raconte dans le Convito que, lorsqu’il eut perdu Béatrice, il chercha des consolations dans la philosophie, et se mit à lire un livre non conosciuto da molti, qui n’est autre que la Consolation de Boèce, pourtant fort répandue au moyen âge. Il ajoute : « Ayant encore appris que Tullius avait écrit un autre livre, dans lequel, en traitant de l’amitié, il adresse des paroles de consolation à Lélius,.. je me mis aussi à le lire. » Et il explique que, quoiqu’il lui fût d’abord difficile de s’assimiler leur sagesse, il y arriva pourtant, autant que le lui permirent « l’art de la grammaire qu’il avait et le peu de son intelligence. » Une telle découverte, et si tardive, des livres que Dante indique comme la base de son éducation philosophique, semble exclure l’hypothèse d’études régulières. Ses biographes anciens et modernes ne l’en ont pas moins envoyé, sans aucune preuve positive, à l’université de Bologne et à celle de Padoue. Balbo, plus affirmatif qu’aucun autre, suppose même que c’est à son départ pour Bologne qu’il aurait fait allusion dans le passage de la Vita nuova (§ 9) où il raconte son départ momentané de Florence avec une nombreuse compagnie de cavaliers qui dans leur chevauchée suivaient le cours d’un fleuve.