Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/809

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

principal qu’elle aurait dû produire. Si l’exécution eût eu lieu à pareille date, une année auparavant, quand l’Angleterre retenait chez elle toutes ses troupes et son meilleur général pour tenir tête à l’insurrection écossaise, quand l’armée autrichienne, concentrée tout entière au fond de l’Allemagne, n’était pas encore remise de l’humiliation que lui avaient imposée les armes victorieuses de Frédéric, la république délaissée et prise à la gorge sans trouver un défenseur n’aurait eu de ressources que de demander grâce par la plus humble et la plus prompte soumission. Mais les dispositions avaient changé avec les événemens ; la partie, presque gagnée par l’Autriche au midi de l’Europe, était redevenue, malgré la stérile victoire de Rocoux, incertaine ou du moins possible encore à disputer au nord, et le duc de Cumberland était présent de sa personne à La Haye, entouré de généraux et des ministres de toutes les puissances alliées : une convention militaire qui venait d’être signée lui assurait la disposition de 130,000 hommes (60,000 Autrichiens, 40,000 Hollandais, le reste composé d’Anglais, d’Hanovriens ou de Hessois à la solde britannique). Céder ou même reculer d’un pouce avec une pareille force en main, c’était une humiliation inacceptable pour un jeune prince, très fier de son renom militaire. Rien d’étonnant qu’il mît tout en œuvre pour s’en épargner le dégoût ; et un conseiller aussi bien armé ne manquait pas d’argumens pour faire agréer, même aux plus timides, des partis de résistance et d’énergie. Aussi l’idée de défendre à tout prix la patrie et la religion menacées se répandit-elle bientôt dans les masses populaires, toujours d’autant plus promptes à braver le péril qu’elles sont plus incapables d’en mesurer la portée. L’esprit de parti et le fanatisme se réunirent pour exploiter ce réveil du patriotisme. Tandis que, du haut des chaires, les prédicateurs (surtout ceux qui, de race française, se rappelaient les rigueurs de la révocation de l’édit de Nantes) alarmaient les consciences et excitaient à courir sus à l’oppresseur papiste, les partisans de la maison de Nassau faisaient entendre plus haut que jamais leur éternelle complainte sur l’incapacité des magistrats républicains et la nécessité de concentrer tous les moyens de la résistance nationale entre les mains d’un chef unique. Ainsi fomentée et entretenue, la fermentation devint en peu de jours extrême d’un bout à l’autre des Provinces-Unies. A chaque fois que les courriers apportaient la nouvelle d’un nouveau succès de l’armée française, c’étaient dans les cités populaires des explosions d’indignation publique, et la faiblesse trop visible de la défense était taxée de lâcheté et de trahison. Des bandes furieuses parcouraient la rue, portant des étendards aux couleurs de la maison de Nassau et faisant entendre le cri de :