Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’indignation, fut encore, plus que la peur, le sentiment dominant dans l’assemblée, véritablement stupéfiée. A force de servir de refuge aux proscrits de tous les pays, la Hollande s’était accoutumée à se regarder elle-même comme un territoire d’asile inviolable où le bruit des armes ne devait jamais se faire entendre et dont la force, même victorieuse, devait respecter le seuil. « Tous les membres qui composaient l’assemblée, écrit Chiquet, furent tellement consternés qu’aucun d’eux n’ouvrit la bouche, soit pour, soit contre, soit même pour aviser aux moyens de détourner le coup dont cet état est menacé, et l’on se contenta de mettre l’affaire en commission et d’ordonner que lesdites pièces seraient envoyées aux provinces respectives de l’union[1]. »

L’impression fut bien plus vive encore et plus générale lorsque l’effet vint, sans tarder, suivre la menace. Une fois en liberté d’agir, Maurice se mit à l’œuvre avec son énergie et sa promptitude accoutumées. Ce fut sur la province maritime de Zélande et sur les places fortes bordant le cours inférieur de l’Escaut jusqu’à son embouchure qu’il dirigea sa première attaque. En partant de Versailles, le 30 avril, il avait annoncé que tout serait fini en quinze jours, et personne ne le voulait croire, car on avait peine à comprendre comment une armée, embarrassée d’un matériel de siège, pourrait manœuvrer sur un sol mouvant, coupé de mille canaux et détrempé par de constantes inondations. Mais il ne voulait pas même avoir l’air de prendre la difficulté au sérieux. « Soyez le bienvenu, monseigneur, écrivait-il au comte de Clermont, qui lui demandait ses ordres et le lieu où il devait le rejoindre, nous ferons de la bonne besogne, s’il plaît à gott, ce dieu des Allemands. Ces messieurs voulaient nous manger avant que nous pussions être rassemblés : il faut les gruger par détail, et puis leur donner des coups comme à Rocoux… Les Hollandais crieront : Aïe ! aïe ! mais qu’ils crient ou ne crient pas, il n’importe guère[2]. »

La gageure fut tenue ; et, entre le 1er et le 17 mai, les citadelles de l’Écluse, de Sas, de Gand, d’Hulst et d’Axel avaient successivement capitulé, et tout le cours du fleuve, jusqu’à la mer, était sous la possession des armes françaises. C’était justement parce qu’on avait trop compté sur les défenses naturelles et sur la longanimité du gouvernement français que les garnisons, partout surprises, n’étaient nullement prêtes à la résistance. Lowendal portait les coups que Maurice dirigeait de son quartier-général, qu’il avait

  1. Chiquet, chargé des affaires de France, à Puisieulx, 21 avril 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Maurice de Saxe au comte de Clermont, 10 avril 1747. (Papiers de Condé. — Ministère de la guerre.)