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Puis quand l’embarras des premiers momens fut dissipé, la position de la jeune femme, encore novice dans l’art des cours, au milieu d’une famille très divisée, n’en restait pas moins assez délicate. Pour commencer, quelle conduite tenir et comment se comporter envers Mme de Pompadour ? La marquise avait favorisé le mariage et comptait sur la reconnaissance. Puis, bien qu’on ne se fît pas faute de lui chercher des rivales, même parmi les filles des plus nobles maisons, rien n’avait pu encore détourner d’elle les regards du roi, et ce qui n’avait semblé à la première heure qu’une fantaisie passagère prenait tout l’air d’un engagement durable qu’il était prudent de ménager[1].

Mais le dauphin froissé, par la vue du scandale, dans la ferveur de ses sentimens religieux, très attaché d’ailleurs à sa mère, et plus sensible qu’elle-même à l’affront fait à la reine de France, ne pouvait dissimuler sa répugnance, et l’exprimait avec la liberté de langage alors usitée dans les cercles les plus relevés, en termes très peu ménagés. Ses sœurs, Mesdames, filles du roi, d’une voix plus discrète, parlaient à l’unisson, principalement Madame Henriette, la plus spirituelle, la plus vive et la plus aimée de son frère. Enfin, l’une des dames qui avait dû prendre son service auprès de la nouvelle dauphine était Mme de Lauraguais, sœur de Mme de Châteauroux, et elle ne dissimulait pas combien elle était blessée de voir remplacée, par un choix si vulgaire et de si petite qualité, la noble sœur dont (si la rumeur publique disait vrai) elle avait elle-même un instant partagé la faveur. Assiégée de ces conseils divers, quel parti la princesse devait-elle prendre ? Comment se garder de tant de pièges et d’écueils ? Fallait-il flatter les complaisances du roi pour garder sa bienveillance, ou la déplaisance du dauphin pour gagner son cœur ? — « Les cabales ne s’endorment pas, écrivait le comte de Loss, et les différens partis qui sont à la cour tâchent de gagner du terrain auprès de Mme la dauphine pour l’attirer chacun à soi. Le parti de la reine voudrait en faire une dévote, pendant que le roi très chrétien voudrait qu’elle s’attachât uniquement à lui. Elle a fait un compliment très obligeant, qu’on lui avait conseillé, à Mme de Pompadour[2]. »

  1. « Les fêtes, écrit à Belle-Isle un de ses correspondans de la cour, sont finies sans aucune aventure ; les bals, que bien des gens croyaient devoir être le tombeau du crédit de Mme de Pompadour, ont été son triomphe. Le roi ne l’a presque pas quittée et a passé des heures à côté d’elle : on n’a rien remarqué qui ait donné le moindre soupçon d’un changement de goût ; il n’a paru à personne rien qui pût donner de l’ombrage. »
  2. Loss à Brühl, 10 mars 1747. (Archives de Dresde.) « Le Dauphin, écrit Chambrier, appelle Mme de Pompadour : maman p… » D’Argenson affirme que le prince avait défendu à sa femme d’assister aux spectacles des Petits-Cabinets. Cette assertion n’est pas confirmée par d’autres témoignages.