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trente ans soit en France, soit dans les Pays-Bas, demeurant, disait-on, en correspondance avec Philippe V qui continuait à prendre secrètement ses avis. Il quittait à peine cette retraite et venait de rentrer dans sa patrie lorsqu’il fut appelé à en sortir de nouveau, chargé d’une mission que personne ne s’attendait à voir confier à un proscrit de la veille.

Le seul qui n’en témoigna ni surprise ni mécontentement, ce fut d’Argenson, encore ministre quand la nomination fut annoncée à Paris. Il connaissait les écrits de Macanaz, approuvait ses doctrines et ne répugnait nullement à l’introduction de la science dans la politique. — « J’ai présenté M. Macanaz au roi, écrivait-il, c’est un vieux philosophe fort savant dans le droit : il concourra au succès de nos affaires, ou du moins n’y gâtera rien. Le rôle qu’il va jouer à Bréda est précisément celui que nous demanderions. » Vauréal, mieux informé, en jugeait bien différemment. — « Je souhaite, écrivait-il, que par l’expérience que nous en ferons vous ayez lieu d’être content du choix qu’on a fait de M. Macanaz ; c’est un homme sévère et caustique, hérissé de science et de formes, prévenu de lui-même, et qui se croit destiné à réformer l’univers[1]. »

Mais ce que ni d’Argenson, ni Vauréal, ni personne ne savait, c’est que, si en théologie et en jurisprudence Macanaz pensait à peu près comme un conseiller du parlement de Paris, il n’en était pas moins un Espagnol de la vieille roche, c’est-à-dire qu’il avait contre la France tous les sentimens d’hostilité qui n’avaient peut-être jamais régné avec autant d’acrimonie au-delà des Pyrénées que depuis que, la rivalité des deux monarchies ayant pris fin, la malveillance était accrue par le dépit d’être obligée de se contenir et de se cacher. Comme la plupart de ses compatriotes, Macanaz supportait impatiemment l’abaissement de l’Escurial devant Versailles, et ne voulait pas regarder comme inévitable cette conséquence, pourtant assez naturelle, de l’avènement d’un cadet de France au trône d’Espagne. Tondant son séjour dans les Pays-Bas autrichiens, l’idée lui était venue qu’en substituant aux relations de famille, qui avaient cessé d’exister, une alliance politique avec les héritiers de Charles-Quint, on pourrait rendre à l’Espagne quelque chose de son ancienne prépondérance sur le continent, et il était entré en relation et en confidence sur ce sujet avec des personnes en crédit

  1. D’Argenson à Vauréal, 21 décembre 1747. — Vauréal à d’Argenson, 10 janvier 1747. — D’Arneth, t. III, p. 170-172. — Sur le rôle de Macanaz, sous le règne de Philippe V, consulter Baudrillart : Philippe V et la Cour de France, p. 225-230. — instruit par l’expérience d’Argenson parle de Macanaz dans ses mémoires autrement que dans sa correspondance. « C’est un vieux fou, » dit-il.