Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai déjà dit que la population de Gênes, poussée à bout par les vexations tyranniques des généraux autrichiens, s’était brusquement soulevée, et, tombant à l’improviste sur la garnison autrichienne, qui occupait la citadelle et la ville, l’avait culbutée et jetée hors des murs. On put croire d’abord que ce n’était qu’une émeute sans conséquence et qu’on viendrait facilement à bout d’une multitude désarmée. Mais il fut bientôt évident que le vieux ferment républicain et patriotique s’était réveillé avec une sorte de fureur dans la cité des Doria, des Spinola et des Fiesque, et que tout se préparait pour l’organisation d’une formidable résistance. Le doge, le sénat, les nobles qui s’étaient tenus d’abord à l’écart du mouvement se virent forcés d’y prendre part : les canons, laissés par les Autrichiens en se retirant, furent employés à mettre les remparts en état de défense : une levée en masse fut décrétée : on put mettre sur pied un effectif plus ou moins bien armé de 30,000 hommes. Un siège en règle était ainsi devenu nécessaire. Le marquis de Botta, n’ayant plus, depuis le départ d’une partie de ses troupes pour la Provence, les forces suffisantes pour l’entreprendre, fit signe à son lieutenant Braun de lui venir en aide, et c’était cette diversion inattendue, sur laquelle Belle-Isle ne comptait pas, qu’il ignora même jusqu’à la dernière heure, qui, achevant de troubler le général autrichien, précipitait sa retraite jusqu’à lui donner l’apparence d’une véritable déroute.


II

Quoi qu’il en soit, et quelle qu’en fût la cause, le succès n’en était pas moins grand, et c’était pour l’entrée en possession du nouveau ministre une bienvenue inespérée. Le malheur voulut que Puisieulx ne fût pas en mesure d’en profiter. Il revenait de Bréda très souffrant, et peu de jours après son arrivée, une petite vérole confluente, d’un mauvais caractère, se déclara et mit ses jours en danger. Pendant plus de six semaines, il fut hors d’état de prendre part à aucune affaire et dut être remplacé provisoirement par son collègue le ministre de la marine, Maurepas. Dans cette situation intérimaire, un ministre d’un jour ne pouvait pas même avoir la pensée de donner sur aucun point une direction normale. Maurepas se borna à profiter du coup d’œil qu’il lui était donné de jeter sur l’ensemble de la politique extérieure pour se livrer en plein conseil à une satire rétrospective des procédés d’esprit du malheureux d’Argenson. Les tentatives que le ministre révoqué avait faites pour entrer en pourparlers au sujet de la paix sur tous les théâtres à la fois, et en frappant, disait-il, à toutes les portes, étaient surtout l’objet de ses railleries et, dans le nombre,