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ne l’avaient préparé ni l’époque de l’année, ni l’état où il croyait l’armée française réduite, leva précipitamment le siège. Un premier échec est fatal à une armée d’invasion, parce que les populations, un instant terrifiées, reprennent courage, la regardent en face, et que le terrain, toujours mal assuré, semble se soulever sous ses pas. Forcés de rétrograder, les Autrichiens se sentirent perdus et lâchèrent pied. Belle-Isle les poursuivit de poste en poste, l’épée dans les reins jusqu’à la frontière, et, dès le 3 février, il pouvait écrire : — « Il ne reste plus un seul Autrichien de l’autre côté du Var, la Provence est entièrement délivrée ; il serait plus brillant sans doute d’avoir pu livrer bataille ; mais le roi y aurait perdu beaucoup de bons et braves sujets, au lieu que cette expédition ne coûte pas en tout cent hommes, tandis que les déserteurs de l’armée autrichienne sont en si grand nombre que je n’en puis pas encore relever l’état et qu’entre ce qui a été tué et ce que les paysans ont assommé ou assomment tous les jours, leur perte se monte au moins à quatre mille hommes. » — « Voilà un résultat bien inespéré, » écrivait Noailles avec plus d’empressement que de satisfaction. — « Vous serez désormais appelé Belle-Isle le Provençal, » disait Vauréal avec un contentement plus sincère. — « Vous êtes parvenu, disait Paris-Duvernay, à exécuter un projet qui, pour les connaisseurs, est sans exemple[1]. »

Quelque juste et bien mérité que fût l’hommage rendu à la vigoureuse action de Belle-Isle, un changement à vue si rapidement opéré ne pouvait cependant s’expliquer par une seule cause. D’autres motifs avaient contribué à jeter le découragement dans les rangs des envahisseurs. D’abord l’expédition elle-même n’avait jamais été du goût, pas plus des généraux autrichiens et piémontais que de leurs souverains. Marie-Thérèse, j’ai eu l’occasion de le dire, ne laissait pas amoindrir sans inquiétude la forte situation qu’elle avait conquise en Italie et qu’elle croyait toujours menacée tant qu’un Bourbon régnant à Naples, les provinces et les côtes méridionales de la Péninsule échappaient à sa domination. Charles-Emmanuel, de son côté, n’oubliant jamais qu’il pouvait être pris à revers par la Savoie et le Dauphiné, ne dégarnissait pas sans regret son royaume d’une partie de ses défenseurs. Pour vaincre ces répugnances, il n’avait pas fallu moins que les instances répétées et presque impérieuses de l’Angleterre, et voici qu’un événement d’une gravité inattendue venait justifier toutes les craintes qu’avait fait concevoir cette pointe témérairement poussée hors du sol italien.

  1. Noailles à Belle-Isle, 15 février. — Vauréal à Belle-Isle, 20 février. — Paris-Duvernay à Belle-Isle, 22 février 1747. (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.)