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en ne se pressant pas de répondre à des propositions qu’on serait toujours à temps d’accepter.

On peut se rappeler d’ailleurs combien devenaient de jour en jour plus difficiles et souvent orageuses les relations des deux grandes puissances qui, déjà divisées au fond d’intérêts comme de tendances, et constamment en méfiance l’une de l’autre, n’étaient plus unies que par habitude et par une tradition vieillie dans leur inimitié commune contre la France. Entre l’Angleterre et l’Autriche on a vu combien de fois, depuis le commencement, et à chacune des phases de la guerre, une querelle vivement engagée, suivie de récriminations réciproques, avait été sur le point d’amener une rupture. Le lecteur n’a point oublié les altercations violentes du ministre britannique à Vienne et de l’altière impératrice. Les propositions de la France devenaient, dans ce ménage si peu tendre, un nouveau sujet de discorde. Chacun des deux coalisés trouvait naturel ce qu’on demandait à son allié, et insupportable ce qu’on exigeait de lui-même. L’Autriche, par exemple, acceptant le principe posé par la France du rétablissement du statu quo ante bellum, ne voyait nulle difficulté à la restitution des conquêtes anglaises dans le Nouveau-Monde : l’échange du cap Breton contre les Pays-Bas lui paraissait tout à fait équitable. Mais à quel titre, disait-elle, cette règle réparatrice une fois posée, y dérogerait-on à son détriment en Italie ? Quels que fussent les territoires qu’on lui demanderait de céder, ils faisaient partie d’un domaine non pas nouvellement conquis, mais anciennement possédé par elle, et elle devrait les détacher de son patrimoine. Ce qu’on réclamait de l’Angleterre, c’était de rendre ; on la condamnait, elle, Autriche, à perdre. Pourquoi un partage si inégal des charges communes ? N’avait-elle pas déjà consenti, sur les instances de l’Angleterre, en faveur du roi de Sardaigne, à une première mutilation de son bien ? Et, en Allemagne, l’appui moral du cabinet britannique n’avait-il pas secondé, presque autant que la victoire et le génie, la cupidité de Frédéric ? Les traités si douloureux de Dresde et de Breslau n’avaient-ils pas été préparés et n’étaient-ils pas encore garantis par l’Angleterre ? Était-ce donc toujours à l’Autriche, si injustement attaquée au début, à contribuer seule au rétablissement de la paix, et pourquoi aucun traité ne serait-il jamais conclu qu’à ses dépens ?

L’Angleterre n’était pas embarrassée de répondre que, si l’Autriche était appelée à faire les frais de la paix, c’est que, depuis six ans déjà écoulés, elle laissait son alliée faire tous les frais de la guerre. Les soldats de l’impératrice, aussi bien que ceux de la Hollande, ne vivaient que des deniers de l’Angleterre, et ne se battaient qu’avec les armes qu’elle leur mettait dans la main. Dans la