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d’étaler sur le monde leur nouvelle grandeur ; les vaincus se rejetaient vers le seul champ d’activité encore ouvert à leurs ambitions ; les autres nations suivaient pour ne pas se laisser distancer ; l’Angleterre redoublait ses efforts accoutumés, afin de maintenir contre les nouveaux concurrens, dans toutes les parties du globe, l’hégémonie traditionnelle qui fait le juste orgueil de cette puissance. Les profondeurs vides de l’Afrique, sondées enfin par les explorateurs, devaient fatalement absorber ce trop-plein de l’activité européenne.

Je n’enregistre que pour mémoire l’établissement du protectorat français sur la Tunisie, en 1881, et l’occupation exclusive de l’Egypte par les Anglais, l’année d’après. Ces événemens ne marquaient pas une politique nouvelle ; ils ont leur place dans l’histoire du littoral méditerranéen et ne se rattachent qu’indirectement à notre sujet, la pénétration de l’intérieur africain. Il faut, d’autre part, limiter ce sujet en écartant les faits qui concernent les régions australes, au-dessous du fleuve Orange et de la baie Delagoa. Dans ces régions, la Grande-Bretagne étendait depuis longtemps son domaine colonial. Des conventions commerciales préparent l’absorption des enclaves qui la gênent ; les délégués des états de l’Afrique méridionale, réunis en 1888 à la conférence du Cap, ont décidé en principe l’extension du réseau ferré qui aboutit à cette ville et la constitution d’un Zollverein sud-africain.

Le signal des entreprises pratiques dans le pays neuf est parti de Belgique. Grâce à l’initiative habile et passionnée de son roi, notre petite voisine va jouer au-delà des mers le grand rôle tenu jadis par la Hollande. Théoriquement, elle possède le cœur de l’Afrique, le noyau central autour duquel se développent les établissemens des autres peuples. Ce domaine lui est échu par une suite d’évolutions diplomatiques très curieuses. En 1876, le roi Léopold réunissait à Bruxelles un simple congrès géographique, qui lui décernait la présidence d’une « association internationale pour l’exploration et la civilisation de Afrique. » Ce n’était encore qu’une création platonique ; elle ne tarda pas à se préciser en devenant « l’Association internationale du Congo. » L’association continua de justifier son titre en faisant appel à des pionniers de toute nationalité ; mais elle limita son activité aux immenses territoires découverts par M. Stanley, avec l’appui financier du roi des Belges ; vis-à-vis des gouvernemens, le souverain personnifiait de plus en plus la société qu’il patronnait. Le nom d’état du Congo passa peu à peu dans l’usage, pour désigner le champ d’action de la société. Le nouvel état reçut l’existence officielle à la conférence de Berlin, en 1885. Cette conférence a défini le régime imposé