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que ses fables ne sont pas seulement morales, qu’elles font connaître les propriétés des animaux et leurs divers caractères, « par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l’abrégé de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. » Depuis, nous avons appris que l’homme est un être à part, qu’il a des privilèges que nous ne soupçonnions pas, que son intelligence est d’une nature tout à fait différente et au-dessus de toute comparaison sacrilège.

Ce qui a été longtemps une doctrine n’est plus qu’une opinion. Des chercheurs sont venus qui ont appliqué des méthodes rigoureuses à scruter (s’il est permis de parler ainsi) la conscience des animaux. Ils ont entrepris d’en étudier les facultés mentales, en même temps que les organes, parfois si subtils et si surprenans, de leurs sens. Ils ont tenté de remonter aux obscures origines de l’instinct, et de découvrir les métamorphoses par lesquelles il se rattache à des facultés supérieures. En prononçant les noms de Darwin, de Spencer, de Lubbock, de Fabre, de Romanes, nous ne citons que les plus connus. Sir John Lubbock est un de ceux qui ont eu recours, avec le plus de succès, à la méthode expérimentale, à l’observation directe. On connaît son ouvrage sur les Fourmis, les abeilles et les guêpes, qui a été traduit en français, ainsi que ses travaux sur les Origines de la civilisation et sur l’Homme préhistorique. Dans le volume qu’il vient de publier, il a réuni les fruits de ses dernières observations sur les sens et sur l’intelligence des animaux, et plus particulièrement des insectes.

« Les organes des sens, dit-il, peuvent être comparés à des fenêtres ouvertes sur le monde extérieur. Comment les objets extérieurs impressionnent-ils les divers animaux ? Jusqu’à quel point leurs impressions ressemblent-elles aux nôtres ? Ont-ils des sensations que nous ne possédons pas ? Enfin, comment arrivons-nous nous-mêmes à nos propres perceptions ? » Voilà, en quelques mots, les problèmes que Lubbock avait devant les yeux, pendant qu’il examinait les poils auditifs des antennes du cousin, ou qu’il apprenait à lire à son chien Van.

Nous ne pouvons avoir la prétention de résumer ici le riche contenu de ce livre ; il nous suffira d’avoir communiqué à quelques-uns l’envie de le lire. On y trouvera d’abord une série de chapitres consacrés à un exposé sommaire du mécanisme des sens, chez l’homme et les animaux. L’impression qui s’en dégage, c’est que, sans doute, le monde qui nous entoure se présente à eux sous des aspects fantastiquement différens : « Il est peut-être, pour eux, rempli de sons que nous ne pouvons entendre, de couleurs que nous ne pouvons voir et de sensations que nous ne pouvons ressentir. » Leurs organes sont complexes et variés à l’infini : c’est à peine si, parfois, nous pouvons en deviner les fonctions. Il existe des animaux qui ont des yeux dans le dos, des oreilles sur les jambes et qui chantent par les côtés ; chez d’autres, les naturalistes ont signalé des organes clairement