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une régence d’un ordre particulier, pour la durée de la maladie du souverain, et que la reine Emma venait de prêter son serment constitutionnel devant les états-généraux, à La Haye. A peine la reine était-elle entrée dans ses fonctions, le roi s’est éteint, laissant cette fois après lui la vraie régence au nom d’une jeune enfant de dix ans, la princesse Wilhelmine, appelée à être un jour la reine de Hollande. Guillaume III d’Orange-Nassau était le troisième roi des Pays-Bas depuis 1815, et depuis quarante ans il portait la couronne. Il a eu un règne sans éclat, mais un règne paisible, pendant lequel la Hollande a vécu librement, tranquillement, faisant ses affaires en nation indépendante sous un régime constitutionnel qui date de 1848. Médiateur désintéressé entre les partis, Guillaume III était le modèle des souverains parlementaires, se bornant à remettre tour à tour le pouvoir à qui avait la majorité dans le parlement. Au courant d’une vie un peu mêlée, ce roi plus que septuagénaire avait eu successivement pour compagne une princesse d’élite, la reine Sophie de Wurtemberg, Française par les sympathies comme par l’esprit, qui lui avait donné deux fils morts depuis longtemps, — et plus tardivement, au soir de sa vie, la princesse allemande Emma de Waldeck. C’est de ce dernier mariage qu’est née la jeune princesse Wilhelmine, appelée aujourd’hui à la couronne. Avec Guillaume III, s’éteint la descendance mâle de cette grande maison d’Orange, qui a donné le Taciturne aux Pays-Bas insurgés et Guillaume III à l’Angleterre ; avec lui aussi s’évanouit la combinaison qui, en 1815, avait uni, par un lien personnel, la Hollande et le grand-duché de Luxembourg. Aujourd’hui, le Luxembourg passe au duc Alphonse de Nassau ; la Hollande reste séparée, libre, avec la jeune reine. La transition est déjà accomplie ; elle s’est faite sans trouble, d’autant plus aisément, que depuis longtemps la diplomatie a tout réglé, et la transmission des deux couronnes et la condition du Luxembourg neutralisé comme la Belgique.

Ce qui en sera de cette combinaison nouvelle, on ne peut certes le prévoir : des événemens inconnus en décideront. Le duc de Nassau, un des princes dépossédés par la Prusse, en prenant sa nouvelle couronne, tiendra sans doute à rester un vrai souverain, à préserver des asservissemens, des froissemens, cette petite nationalité luxembourgeoise dont il est aujourd’hui le gardien. En Hollande, c’est une minorité qui s’ouvre, et les minorités ont quelquefois leurs périls. Il y aura peut-être des difficultés : elles seront vraisemblablement atténuées et par la prudence de la nouvelle régente et par le sage esprit de ce peuple hollandais, qui a su si bien allier jusqu’ici à la fidélité dynastique l’attachement à ses libertés et le sentiment inviolable de son indépendance nationale.


CH. DE MAZADE.