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La dernière lettre qu’il a écrite à un catholique de France le prouve assez. Évidemment aussi, il a dû pressentir que son langage, fait pour émouvoir et éclairer l’opinion, ne serait pas écouté partout avec la même faveur, qu’il aurait particulièrement le don de déconcerter et d’irriter les esprits extrêmes dans tous les camps, les irréconciliables de tous les partis. On ne peut pas dire, à coup sûr, que ces retentissantes déclarations de paix, malgré ce qu’elles ont de rassurant pour la république, aient été reçues avec enthousiasme par certains républicains, jaloux de garder les clés de leur église. Les radicaux, en gens supérieurs, ont affecté l’ironie des esprits forts et ils n’ont trouvé rien de plus piquant, de plus ingénieux que de répondre, dès le lendemain, à M. le cardinal Lavigerie en supprimant les voyages à prix réduits pour quelques pauvres religieux allant peut-être au Thibet ou au centre de l’Afrique. Probablement, comme on le leur a dit, ils auraient refusé un permis au père Dorgère, le courageux missionnaire qui vient de négocier la paix de la France avec le roi de Dahomey, — et ils trouveraient l’occasion tout à fait favorable pour employer la police et les gendarmes contre quelque couvent ! Les républicains plus modérés eux-mêmes, en paraissant plus satisfaits, ne sont pas sans quelque vague méfiance, et, s’ils triomphent de l’adhésion d’un prince de l’Église à la république, ils n’entr’ouvrent qu’à demi leur porte. Ils craignent tout, ils craignent pour leurs lois, pour leurs laïcisations, pour leur règne ; ils entendent ne rien livrer ! Les républicains sont curieux avec leurs craintes et leurs conditions. Ils ne s’aperçoivent pas que ce qu’il y a de plus dangereux pour la république, c’est de paraître la confondre avec des lois qui n’ont pas, apparemment, reçu encore le sceau de l’infaillibilité, qui ne sont pas un Syllabus ! Ils ne voient pas de plus qu’on n’a aucune permission à leur demander pour entrer dans une république ouverte atout le monde ; qu’il n’y a ni à les consulter, ni à s’inquiéter de leurs conditions ou de leurs exclusions. C’est à eux d’être prévoyans, modérés et concilians, s’ils le veulent, s’ils le peuvent. Pour le reste, c’est au pays qu’on s’adresse ; c’est dans l’intérêt du pays, d’accord avec ses sentimens et ses vœux, qu’on garde le droit de revendiquer la paix des croyances, la paix des esprits, sans mettre en doute la république elle-même.

Ce qu’il y a de plus curieux et peut-être de plus significatif, c’est que, si M. le cardinal Lavigerie n’a pas réussi à désarmer les républicains exclusifs, il n’a pas plus de succès dans une certaine classe de conservateurs, parmi les irréconciliables de toutes les monarchies. Ce n’est point, il est vrai, que sa parole soit restée sans écho dans tout le monde conservateur. Précisément ses derniers discours ont coïncidé, à quelques jours près, avec les résolutions d’une partie de la droite du parlement, avec les déclarations nouvelles de M. Piou, acceptant sans