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l’abondance. La largeur de la vie confine au luxe ; quand le fils du maître vient chasser de ce côté avec ses amis et qu’ils entrent se reposer, la fermière les fait « boire à la glace. »

Perrault n’inventait pas lorsqu’il écrivait cette jolie page. Rien n’égale l’impression de savoureux bien-être que donnaient certaines grandes exploitations agricoles du vieux temps, avant la révolution. On en trouve un témoignage non suspect dans les Mémoires d’un fils de paysan, le capitaine Coignet, qui avait appris à lire et à écrire au régiment et qui en profita pour raconter ses impressions de jeunesse. L’une des plus vives demeura toujours celle que lui avait causée une ferme de la Brie champenoise, où il avait été valet de charrue avant de conquérir l’Europe sous les drapeaux de Napoléon. Un demi-siècle après, il se souvenait encore avec délices de la chère plantureuse qu’on y faisait et de l’élégance de la table commune, « servie comme pour un grand repas, tout en argenterie, timbales d’argent, deux paniers de vin. »

La ferme décrite par Perrault égalait en richesse celle du vieux Coignet. Peau-d’Ane y avait été engagée pour être « souillon, » emploi qui n’avait rien de commun avec celui de « dindonnière. » Il est nécessaire d’en faire la remarque, afin de dissiper une erreur très répandue. Beaucoup de personnes croient que Peau-d’Ane a gardé les dindons. Rien n’est plus faux. C’est l’héroïne d’un autre conte de fées encore plus merveilleux, c’est Mme de Main tenon, qui a gardé les dindons chez sa tante de Neuillant, une gaule dans une main et les quatrains de Pibrac dans l’autre. Peau-d’Ane était chargée de laver les torchons et de nettoyer l’auge aux cochons. Perrault le dit expressément et nous montre sa princesse à l’ouvrage. La scène a la crudité des cabarets de Téniers.


On la mit dans un coin au fond de la cuisine,
Où les valets, insolente vermine,
Ne faisaient que la tirailler,
La contredire et la railler.
Ils ne savaient quelle pièce lui faire,
La harcelant à tout propos ;
Elle était la butte ordinaire
De tous leurs quolibets et de tous leurs bons mots.


Nous rencontrons, quelques pages plus loin, un autre exemple de l’heureuse prédilection de Perrault pour le détail caractéristique qui fait voir le personnage. Toutes les filles du royaume défilent pour essayer la bague de Peau-d’Ane. Duchesses et bourgeoises sont passées ; leurs doigts


Étaient trop gros et n’entraient pas.