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aujourd’hui le but de ses efforts. Elle espère y réussir par la réunion d’une convention où des délégués élus par tous les groupes civiques répandus d’un bout à l’autre du pays proclameront le candidat de l’association à la présidence de la république. L’homme sur lequel s’arrêtera le choix de cette assemblée sera d’avance l’élu de l’opinion, et par suite le seul en situation de gouverner. Après le grand élan qu’on vient de voir, et quand le patriotisme est encore tout frémissant, prétendre gouverner contre l’opinion serait folie. Le nom qui est prononcé avec le plus d’insistance est celui du général don Bartolomé Mitre, président d’honneur de l’Union civique, et sans contredit l’homme d’État contemporain auquel l’histoire argentine doit les pages les plus brillantes et les plus pures. Il n’y a guère de manifestation populaire où n’ait résonné le cri de : « Vive le général Mitre, futur président de la république ! » Ceux qui le poussent n’ont pas consulté le principal intéressé, chez qui l’amour de l’étude pourrait bien avoir éteint le goût du commandement. Ce qui semble sûr, c’est que sa parole aura sur les décisions de la convention projetée une très grande influence, et que la belle attitude de l’Union civique aura pour récompense de renouer l’ère des administrations éclairées et correctes dont le général Mitre et le docteur Lopez sont de vivans exemples. Il faut des hommes de cette trempe, tout le monde le sent, pour rétablir l’équilibre moral et les forces économiques de la confédération argentine.

Elle en a besoin. Elle sort de cette période de corruption saignée à blanc. Non-seulement il a disparu des sommes énormes prêtées à des intrigans dont la prodigalité tenait de la folie, — le docteur Davison, dans le meeting du 19 octobre, les évaluait à un milliard et demi de francs en quatre années ; — mais cet argent représentait l’outil indispensable du travail, l’aliment de la production. La disparition des valeurs circulantes a fait tomber l’agriculture, l’industrie, le commerce, dans la stagnation. La convalescence de ces maladies-là est longue. Il faut ajouter pourtant que les peuples jeunes ont à cet égard des grâces d’état. Ils possèdent une abondante réserve d’énergies naturelles qui ne demandent qu’à entrer en action pour peu qu’on les aide. Ce qui leur manque le plus pour se bien porter, c’est la sagesse. La République Argentine a l’air d’en avoir fait cette fois provision. Qu’elle ménage et surveille cette provision sacrée, plus précieuse pour elle à cette heure que l’or et l’argent !


ALFRED ÉBELOT.