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gouvernement de M. Maximo Paz, les abus les plus ruineux. M. Paz avait imaginé une loi sur les centres agricoles, fort analogue à celle des banques libres en ce sens que, laissant dans l’esprit une impression favorable quand on en lit le texte, elle se prêta en réalité à des pillages épouvantables. Elle avait pour but ostensible de faciliter aux propriétaires d’estancias, situées à proximité des voies ferrées, la subdivision de leurs champs en petites fermes et l’établissement sur chacune d’elles d’une famille de cultivateurs remboursant à longue échéance le prix de la terre et les avances d’installation. Pour cela, le propriétaire avait à présenter un projet et un devis de ce qu’il comptait faire, et la Banque hypothécaire, après examen, lui remettait en cédules une somme proportionnée à la dépense. Dès qu’une ferme serait vendue, il était entendu que l’acheteur ferait le service du nombre de cédules correspondant à l’étendue du lot.

Bien que l’intérêt et l’amortissement de ces titres représentent une lourde charge pour un fermier, il n’était pas impossible qu’une famille laborieuse et intelligemment aidée au début parvînt dans ces conditions à libérer son domaine et à prospérer. Il s’est créé, à la faveur de la loi, quelques centres agricoles qui ont donné de bons résultats au fondateur et aux premiers occupans. C’est l’exception. Presque toujours les projets présentés n’avaient pour but que d’obtenir de la banque une grosse somme, qu’on s’empressait d’appliquer à d’autres besoins. C’est une chose digne de remarque combien on vit à ce moment de marais et de landes arides consacrés, sur le papier, à l’agriculture. Le spéculateur qui les achetait presque pour rien leur donnait une valeur de fantaisie, toujours approuvée s’il était suffisamment patronné, et empochait les cédules. Dès ce moment, pour lui, l’opération était terminée. Les gens prudens, pour se mettre à couvert de tout ennui, dénichaient un homme de paille à qui, moyennant une gratification, ils repassaient leur contrat. C’était lui qui répondait désormais de la créance, ou plutôt c’était la terre qui était censée en répondre. Le seul malheur, c’est qu’on l’avait estimée dix fois ce qu’elle valait.

Citons un exemple-type de cette façon de s’enrichir ; un procès récent l’a rendu célèbre, et permet de poser quelques chiures. La Corbina (ainsi appelée du nom d’un excellent poisson) est une propriété de 7,500 hectares dans le sud de la province de Buenos-Ayres, au bord de la mer. Elle est presque exclusivement formée de fondrières et de marécages. Une entreprise de salines, ayant trouvé là 1,000 hectares à sa convenance, les avait achetés à raison de 25 piastres l’hectare. C’était les payer un peu plus que la