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dans l’attente du choc inévitable. L’heure était mal choisie, ajoutait-on, pour étendre un domaine colonial qu’elle serait impuissante à peupler, inhabile à administrer ; le nombre lui manquait et, sans le nombre, toute colonie est une charge quand elle n’est pas un danger.

Si plausibles qu’ils paraissent, ces argumens ne sont pas pour convaincre. Tout d’abord la France, en obéissant au mouvement d’expansion coloniale qui emporte l’Europe, ne choisit ni l’heure ni le moment. L’heure sonne à l’horloge du temps. Si la France l’eût devancée, on eût pu l’accuser d’imprudence ; si elle la laisse passer, elle ne la retrouvera plus. L’Europe se partage l’Afrique et convoite l’Océanie ; le partage fait sans elle, il ne lui restera plus que la guerre pour rétablir un équilibre rompu à son détriment. En consolidant son empire colonial en Asie, elle n’a fait que réparer en partie les fautes commises au siècle dernier, fautes qui lui ont coûté l’Inde devenue terre anglaise, et qui menaçaient de faire de l’Asie un fief anglais et russe. En se fortifiant dans l’Océanie, elle ne fait que réserver l’avenir et les droits que lui donnent les sympathies qu’elle a su se concilier dans ces régions du Pacifique.

On oublie aussi, en alléguant l’état stationnaire de la population française et la prétendue incapacité colonisatrice que dément son histoire, qu’il est deux sortes de colonies : les colonies de peuplement et les colonies de gouvernement ; que les colonies de peuplement sont les plus rares, et qu’en parlant de colonies c’est à celles-ci que l’on fait toujours allusion. Elles sont rares, disons-nous, et nous ajouterons qu’elles sont presque toutes prises. En Asie, la Sibérie est aux mains de la Russie ; en Océanie, l’Australie est aux mains de l’Angleterre. Ce sont l’une et l’autre des colonies de peuplement par excellence, d’immenses espaces vides d’habitans, de vastes réservoirs d’immigration. En Afrique, certaines régions semblent destinées à devenir, elles aussi, des colonies de peuplement, mais ce ne sont, à coup sûr, ni l’Algérie, que nous occupons, ni la Tunisie, que nous protégeons. En Amérique, tout est pris. L’Espagne, l’Angleterre et la France ont colonisé ces terres lointaines qu’occupent leurs descendans et où le Canada atteste hautement les qualités colonisatrices et les vertus prolifiques que l’on conteste à notre race. En 1763, le Canada ne comptait que 70,000 habitans de race française ; le recensement de 1881 en a relevé plus de 1,200,000.

Par colonies de gouvernement, nous entendons celles déjà peuplées par une race différente, gouvernées et administrées par une race supérieure. Elles composent l’empire colonial de la France :