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Le temps d’arrêt subi par l’accroissement de la population en France date de l’évolution industrielle du début de ce siècle. Il se traduit surtout par la diminution des naissances, qui, de 32 par 1,000 habitans, sont tombées à 23, d’un peu plus de 1 million par an à 937,000, et ce ralentissement est surtout sensible dans les départemens riches, mais où la consommation individuelle a augmenté. On a longuement disserté sur les causes de ce temps d’arrêt, suggéré bien des mesures pour l’enrayer. Le mal est constant, on ne saurait le nier ; le danger qui pourrait résulter de sa persistance n’est pas douteux, mais ce qui nous paraît douteux, c’est l’imminence du péril, et ce qui nous semble dangereux par-dessus tout, c’est l’état d’esprit qu’il engendre, cette sorte de désespérance morbide, ces affirmations de décadence physique, morale et intellectuelle de notre race, que rien ne justifie et qui. tombant de haut, répercutées par tous les échos, ébranlent les plus fermes convictions et livrent la nation sans défense aux théories énervantes d’un pessimisme que l’on emprunte, pour nous l’inoculer, aux écoles philosophiques étrangères et auquel, de tout temps, le génie vigoureux et sain de notre race s’est montré réfractaire.

On proclame la vie un mal et la non-existence un bien ; on affirme que donner le jour à un enfant, c’est livrer volontairement une victime au malheur, que, partant, l’enfant ne doit à ses parens, devenus ses bourreaux, ni reconnaissance, ni affection ; que les parens doivent tout à ceux qui reçoivent d’eux, avec la vie, l’écrasant fardeau de souffrances et de maux dont elle se compose. A la loi naturelle, qui, portant l’homme à se créer un foyer et une famille, accroît ses charges et l’invite à redoubler d’efforts, le pessimisme oppose une loi nouvelle, qui, tout en laissant à l’homme le plaisir, non-seulement lui permet, mais lui enjoint, au nom d’un principe, de se dérober aux soucis de la paternité, qui flatte son égoïsme et substitue, chez la femme, le culte de sa beauté à l’instinct maternel.

De pareilles doctrines sont graves. Elles le sont d’autant plus que ceux auxquels elles s’adressent sont à l’âge où la préoccupation du présent l’emporte sur celle de l’avenir, où la lutte pour conquérir la fortune absorbe l’homme, et les distractions la femme, où les enfans, exigeant plus de soins, imposent plus de sacrifices, où l’on écarte comme importune l’idée du foyer solitaire et de la vieillesse sans postérité. Elles sont graves parce qu’elles ne s’adressent pas seulement à une élite capable, à tout prendre, d’en démêler la fausseté, mais qu’elles pénètrent dans les masses qu’un salaire incertain sépare seul de la misère et auxquelles on prêche un évangile nouveau.