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simultanément, et dans tous les domaines, à réduire à son minimum l’importance du nombre et à élever à son maximum celle de l’intelligence, que l’on proclame le nombre le facteur principal. Il semble qu’à côté de lui tout pâlisse et s’efface, que le moindre temps d’arrêt dans son accroissement soit une cause irrémédiable de ruine à bref délai, et que rien ne puisse compenser un ralentissement peut-être accidentel, à coup sûr qui n’est pas sans précédens et que tous les états de l’Europe ont plus ou moins vu se produire dans le cours de leur longue histoire.

Est-ce donc la première fois qu’une nation voit, non pas même se ralentir, mais s’arrêter l’accroissement de sa population, à la suite d’une violente secousse, au cours d’une évolution considérable ? Les fluctuations de la population ne sont-elles pas soumises à des lois que la science économique a formulées et que les statistiques confirment ? De tout temps il a existé un rapport étroit entre ces trois termes distincts : la population, la production et la consommation. Ce ne fut longtemps qu’une notion vague et confuse, entrevue par quelques hommes d’État, mais à laquelle manquaient des assises sérieuses, des données exactes et précises. Dans nos sociétés modernes, ce rapport étroit s’est accentué, et les statistiques ont mis hors de doute deux faits incontestables, à savoir que la population s’accroît quand la production de la richesse s’accroît ; qu’elle tend à rester stationnaire alors que la moyenne de la consommation individuelle augmente.

C’est le cas pour la France ; non pas que la France s’appauvrisse, mais que la moyenne de sa consommation et de ses charges s’est accrue. La production a augmenté, mais plus encore la consommation individuelle, le bien-être général, les besoins de confort et de luxe. Entre ces deux termes, l’équilibre est faussé, et les lourdes charges que la guerre et la paix armée font peser sur elle aggravent le malaise : il résulte de la disproportion des deux facteurs, de ce qu’ils ne suivent pas la même progression, de ce que l’un retarde sur l’autre, non de ce que l’accroissement de la consommation individuelle soit, en lui-même, une tendance regrettable et fâcheuse. Une population très nombreuse parce qu’elle consomme peu est une population misérable ; mieux vaut pour un état une population moins nombreuse, mais aussi plus aisée, plus intelligente et plus cultivée.

Nous avons montré ici même[1] comment, dans l’évolution industrielle du commencement de ce siècle, la France, absorbée par les grandes guerres de l’empire, s’était vue distancée par

  1. Voir, dans la Revue du 1er septembre 1887, les Grandes Fortunes en Angleterre.