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à être envoyé à Cüstrin avec les commissaires désignés pour recevoir le serment. Il pensait que nul ne serait mieux qualifié pour faire savoir au prince « que l’empereur, en véritable ami de Sa Majesté Royale, avait intercédé pour lui. » Mais Frédéric-Guillaume ne permit pas qu’un étranger parût dire le dernier mot d’une si grande affaire. C’est Grumbkow qu’il envoya, avec cinq autres généraux, à Cüstrin, où ils arrivèrent le 15 novembre.

Le lendemain, Grumbkow eut un long entretien avec le prince. Ce qui s’y passa, nous ne le savons point. Grumbkow était homme à dire juste ce qu’il fallait, à pleurer et à rire avec le prince, à le consoler et à le conseiller, à lui donner tort sur certains points et raison sur d’autres. Il lui a certainement promis son aide et son dévoûment pour l’avenir. Le prince était homme à tout comprendre, même les sous-entendus les plus subtils. Ces deux hommes avaient besoin l’un de l’autre, et leur conscience à tous les deux était docile aux mouvemens de leur intérêt ; ils s’entendirent. Pour témoigner sa reconnaissance envers ce nouvel allié, le prince lui fit don, avec larmes et sanglots, du testament de Katte. Ce testament, il semble bien pourtant qu’il aurait dû le garder jusqu’à la mort.

Le 17 novembre, le prince prêta le serment « d’obéir strictement aux ordres du roi, de faire en toutes choses ce qui appartient et convient à un fidèle serviteur, sujet et fils. » Il souscrivait à l’avance, au cas où il retomberait dans les anciens erremens, à la perte de ses droits héréditaires. Il fut alors mis en liberté, avec la ville pour prison. Le général gouverneur lui rendit son épée, mais sans le porte-épée d’officier, car la grâce du roi n’allait pas jusqu’à réintégrer son fils dans l’armée. Les postes ne devaient pas sortir pour lui présenter les armes ; il était défendu aux militaires de le saluer. Frédéric, sensible à ces marques d’indignité, adressa tout de suite à son père la prière de lui rendre sa qualité de soldat. Le roi lui répondit qu’un déserteur avait perdu le droit de porter l’uniforme, et il ajouta : « Il n’est pas nécessaire que tous les hommes fassent le même métier ; tel doit travailler à devenir soldat ; tel autre s’appliquer à l’érudition et à d’autres choses semblables. »

Puis il lui faisait entendre des paroles sérieuses et vraiment royales. Il fallait maintenant, disait-il, que le prince « apprît, en mettant la main aux affaires, qu’aucun État ne subsiste sans l’économie et une bonne constitution. Le bien d’un pays exige que le souverain lui-même soit bon économe et administrateur ; autrement le pays demeure à la disposition de favorites et de premiers ministres, qui en tirent leur profit et mettent tout en confusion… Il