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l’eau une partie du bois, la force du feu ne sera plus unique. » Müller prend ensuite l’offensive : « Deux hommes sont tombés dans le fossé du château : à chacun, on jette une corde. On les avertit qu’ils n’ont qu’à la prendre, et que, par ce moyen, ils seront sauvés. Il y en a un qui ne veut pas prendre la corde ; s’il n’est pas sauvé, c’est par sa faute. »

Pendant que le pasteur et lui discutaient en propos puérils la primordiale et obscure question de notre liberté, le prince ménageait habilement sa retraite. Il savait que le roi ne lui pardonnerait pas son entêtement dans l’hérésie. Il n’était pas encore rassuré sur son sort. De temps en temps, il se mettait à la fenêtre et regardait le tas de sable, qu’on avait laissé, et qu’il pria le gouverneur de faire enlever. A la fin, il confessa son erreur. « Il n’y a donc point de fatalité, dit-il, et seul je suis cause de la mort de Katte et de mon malheur. » Müller l’assura qu’il était sur le vrai chemin, et qu’il n’avait plus qu’à se laisser conduire par Dieu au vrai repentir. Alors le prince : « De tout mon cœur, si seulement il y a encore grâce pour moi, et si je n’ai de compte à rendre qu’à Dieu seul ! » Le pasteur continuait à ne parler que de Dieu : « Dieu vous a fait sentir sa colère pour vous forcer à crier vers sa grâce ! » Mais Frédéric savait fort bien qu’avec Dieu il s’arrangerait toujours : « Je le crois aussi, reprit-il, mais je crains de ne pas rentrer en grâce, de ma vie, auprès du roi. »

C’est du roi qu’il voulait obtenir le pardon de ses péchés. Chaque fois que Müller parlait grâce de Dieu, Frédéric répondait grâce du roi. Il craignait que le pasteur ne lui cachât un horrible secret ; il hésitait à lui poser la question précise, qui lui montait aux lèvres. Il tournait tout autour et cherchait à faire comprendre au prêtre son anxiété. A la fin, comme Müller s’obstinait dans les propos théologiques, il se risque : « Ne dois-je pas conclure de votre visite que vous voulez me préparer à la mort, moi aussi ? » Müller a compris enfin ; il se récrie et se donne toute la peine du monde pour retirer cette idée de l’esprit du prince : « Si et combien de temps Votre Altesse doit demeurer ici, cela dépend de Votre Altesse. » Frédéric, un peu rassuré, se met en prière. Plus calme, il demande au pasteur de rester encore auprès de lui, de coucher au château, s’il est possible, afin qu’il puisse le voir aussi souvent qu’il voudra et s’entretenir avec lui pour son édification. Müller obtint la permission de demeurer au château, dans un appartement au-dessus de la chambre du prince, qui n’avait qu’à frapper pour qu’il descendît.

Le brave homme croyait à la sincérité du repentir de Frédéric et de sa conversion. Il affirma au roi, devant Dieu, qu’il n’avait pas découvert en lui la plus petite trace de fausseté. Il le suppliait en