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« Comme donc j’espère que la circonstance présente et l’exécution, toute fraîche dans son esprit, lui aura touché et amolli le cœur, je vous fais une affaire de conscience de faire tout l’humainement possible, de bien représenter au prince royal tous les passages de l’Écriture sur la grâce, de le convaincre et de démontrer clairement vos paroles, et, comme c’est une tête ingénieuse, de répondre à chacune de ses objections clairement, mais pertinemment et à fond. Vous l’amènerez sur ce discours d’une bonne manière, sans qu’il s’en aperçoive. Si vous trouvez que le prince royal est content de votre conversation, et qu’il accueille vos bonnes doctrines, et que cela lui va au cœur, vous resterez à Cüstrin, et tous les jours vous monterez chez le prince et vous pénétrerez par votre parole jusque dans sa conscience, de façon qu’il rentre en lui-même et se convertisse de cœur à Dieu. Si vous ne trouvez pas d’accès, vous vous en irez et vous m’écrirez, et, si je vais à Berlin, vous viendrez me parler. Mais, si vous trouvez un cœur brisé, vous me devez l’écrire et rester là. »

Il faut rapprocher cette lettre de l’ordre donné, le même jour, au général Lepell au sujet de l’exécution de Katte. Lorsqu’il a écrit ces deux documens, le roi avait pris enfin son parti. Il ne pense plus à déshériter son fils : il lui rend le titre de prince royal, qu’il évitait auparavant de lui donner. Après tant d’hésitations, il a choisi le supplice qu’il infligera au rebelle : il a condamné Frédéric à l’émotion d’un spectacle terrible, composé lui-même tout le drame, et prévu jusqu’au dernier détail.

Dans l’ordre au général, il a réglé l’exécution, le lieu où elle s’accomplira, la tenue des gendarmes, qui seront à pied (pour ne pas cacher le condamné, qui doit être vu des fenêtres) ; le moment où sera lue la sentence ; il a nommé le magistrat qui fera la lecture. « Aussitôt le jugement de mort lu, doit le pasteur dire une prière, et l’exécuteur couper la tête. » Il a dit comment le corps sera exposé, jusqu’à quelle heure, et dans quel cimetière le cercueil sera porté par des bourgeois « d’une tenue décente, hübsche Bürger. » Il a désigné les officiers qui se rendront auprès du prince avant l’exécution, pour « lui commander en mon nom de la regarder avec eux, » et qui, tout de suite après, iront chercher le pasteur des gendarmes : « Celui-ci doit, avec le prince, parler, raisonner et prier. »

Dans la lettre au pasteur, le roi lui donne la matière de ses paroles et de ses raisonnemens, et jusqu’au ton des prières. Sur la terreur de l’exécution encore « toute fraîche, » il veut que l’on verse la parole de Dieu et l’exhortation au repentir. Si son fils est capable d’être touché, il le sera sans doute à ce moment-là. Aux raisons qui ont décidé le roi à condamner le malheureux Katte, il