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de la main, et reprit : « Seigneur Jésus ! » Le coup d’épée interrompit sa prière.

Le prince royal s’était évanoui sous le dernier regard de la victime.


VI

Du lieu de l’exécution, le pasteur Müller se rendit tout droit auprès de Frédéric, qui crut voir entrer la mort. Müller essaya de lui parler, mais le voyant si faible et dans l’épouvante, il le laissa. Frédéric se remit à la fenêtre, le regard appelé toujours vers le tas de sable, où le corps de Katte avait été laissé, recouvert d’un drap noir. A deux heures seulement, des bourgeois apportèrent un cercueil, où ils y déposèrent la dépouille, qu’ils conduisirent au cimetière des officiers. Le prince les regarda taire. Müller revint alors auprès de lui, et l’entretien dura jusqu’à cinq heures. A sept heures, il fut encore rappelé par Frédéric.

Le roi avait prescrit à Müller sa tâche dans une lettre qu’il lui avait fait tenir à Berlin, le 3 novembre :

« Je ne vous connais pas, mais j’ai entendu beaucoup de bien de vous, et que vous êtes un pieux et probe ministre et serviteur de la parole de Dieu. Comme vous allez à Cüstrin à l’occasion de l’exécution du lieutenant Katte, je vous commande de monter, après l’exécution, chez le prince royal, de raisonner avec lui, et de lui représenter que celui qui abandonne Dieu, Dieu l’abandonne ; et, si Dieu l’abandonne et lui retire sa bénédiction, l’homme ne tait plus rien de bien, il ne fait plus que le mal.

« Qu’il rentre en lui-même ; qu’il demande pardon à Dieu de tout cœur, pour le grave péché qu’il a commis, et pour avoir séduit des hommes, dont un a dû le payer par son corps et sa vie. Si vous trouvez le prince abattu, vous devez l’amener à tomber à genoux avec vous, et aussi les officiers qui sont avec lui, et à demander pardon à Dieu, avec des cœurs pleurant. Mais vous agirez de la bonne manière et avec prudence, car c’est une tête pleine de ruses, et vous prendrez bien garde si tout se passe avec un vrai repentir et un cœur brisé. Vous devez aussi lui représenter de la bonne manière dans quelle erreur il est plongé, en croyant qu’un tel est prédestiné de telle façon, cet autre de telle autre, de sorte que celui qui serait prédestiné au mal ne pourrait que taire le mal, pendant que celui qui serait prédestiné au bien ne ferait que le bien, et que rien ne pourrait être changé[1]

  1. Frédéric-Guillaume avait horreur de cette doctrine. Voyez, dans la Revue du 1er octobre dernier, le Père du Grand Frédéric.