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si sérieux, si familier et si solennel. Mais ce juge aussi doit être jugé à son tour. En droit, il a raison, mais ne devait-il pas rentrer en lui-même, s’avouer qu’il avait été coupable envers le prince, et considérer que celui-ci avait été l’instigateur du crime de Katte ? En équité, devant Dieu, il devait une réparation de ses torts envers son fils, et des torts de son fils envers Katte, et cette réparation, c’eût été la clémence ; mais, justement, ce qui était la vraie circonstance atténuante en faveur de Katte, à savoir que l’initiative venait du prince, aggravait le crime aux yeux du roi.

Ce n’est plus le juge impartial qui parle de complot tramé avec le soleil de demain, c’est Frédéric-Guillaume, avec ses passions, son inquiétude et sa jalousie. Il se représente ce qui se passera au lever de ce soleil : les portes de la forteresse s’ouvriront pour Katte, et le roi Frédéric, deuxième du nom, et Katte, son favori, se moqueront de lui quand il sera couché dans la tombe. En attendant, le monde croira que « ce projet du prince et de ses courtisans n’était qu’un jeu d’enfant. » Si le procès se termine sur le jugement du conseil de guerre, c’est le roi qui l’a perdu. Les raisons de discipline publique et d’honneur militaire qu’il donne dans ses considérans sont graves et justes ; il les dit sincèrement, mais il se trompe s’il croit qu’il n’en a pas d’autres, plus secrètes, de celles qui agitent les bas-fonds des consciences et les déterminent. Il voulait à la fois se venger et se justifier : pour cela il fallait, non pas le plumeau, mais le glaive. Il avait encore une autre intention terrible, que nous allons découvrir.


V

Le 2 novembre, Katte fut amené devant le conseil de guerre. Tenu au secret rigoureux, surveillé comme une proie, il avait hésité, pendant ces longues semaines, entre la crainte et l’espoir.

Lorsque les juges lui lurent leur jugement et celui du roi, il fit bonne contenance : — « Je me résigne, dit-il, à la volonté de la Providence et du roi. Je n’ai commis aucune mauvaise action, et, si je meurs, c’est pour une bonne cause ! » — Il essaya pourtant de défendre sa vie. Il écrivit à son grand-père, le feld-maréchal d’Alvensleben, pour le prier d’intercéder auprès du roi. Du crédit de son père, il n’espérait plus rien. Le général Katte, en effet, avait adressé au roi, après l’arrestation de son fils, une lettre suppliante, mais n’avait obtenu d’autre réponse que celle-ci : — « Son fils est une canaille ; le mien aussi ; nous n’y pouvons rien ni l’un ni l’autre. » — Le vieux feld-maréchal serait peut-être plus heureux. Katte le pria de faire parvenir au roi une supplique toute brûlante de la passion de vivre : — « L’erreur de ma jeunesse, ma faiblesse,