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félicitait de n’avoir pas été du voyage où le prince avait été arrêté. Seckendorf prétend même s’employer à calmer le roi et à réfuter, un à un, ses argumens. Deux fois, pendant la crise, il se rend dans ses terres, en homme désintéressé, inoffensif.

Personne n’a conseillé au roi de faire mourir son fils. L’idée lui est venue certainement à l’esprit, et revenue avec obstination. Don Carlos d’Espagne et Alexis de Russie ont passé sans doute dans sa cervelle en désordre, parmi les fantômes nocturnes, mais sa conscience, après tout, valait mieux que celle de Philippe d’Espagne et du tsar Pierre. Puis, il était obligé plus qu’eux de compter avec l’opinion du monde. Il se préoccupait de ce que dirait l’Europe, de ce qu’elle disait déjà. Un de ses griefs contre Frédéric et sa coterie était « qu’on faisait tout le possible pour le représenter au monde comme un tyran. »

Dans toute l’Europe, en effet, il « n’était bruit que des cruautés du roi de Prusse. » Les États-généraux, la Suède, la Saxe, ont écrit en faveur du prince royal des lettres d’intercession. Le roi de Suède supplie Frédéric-Guillaume, placé entre ses devoirs de roi et ses devoirs de père, d’écouter son cœur paternel. « Votre famille, vos peuples, les protestans, toute l’Europe, attendent cette décision de votre naturelle bonté et vous conjurent de la prendre. » De Londres, le résident de Prusse, Degenfeld, mande « que la cour est consternée ; » que « tous les bons protestans de la nation sont troublés et profondément attendris ; chacun attend de la sensibilité de Sa Majesté qu’elle donne libre cours à son cœur paternel… et qu’elle rende sa grâce et faveur au prince, pour la consolation de la religion protestante. »

Le roi, il est vrai, reçoit mal ces démarches. Le ministre de Suède, qui a, depuis la fin d’août, la lettre de son maître, n’a pas osé la remettre aux mains de Frédéric-Guillaume. Il la fait parvenir à son adresse seulement un mois après. Le roi écrit en marge un seul mot : Reponatur, c’est-à-dire, à classer.

Ginckel, plus hardi et mieux en cour, s’est acquitté de la commission des « Hautes-Puissances. » — « Oui, a répondu le roi, je sais bien que tout le monde veut me faire passer pour un brutal, et que le prisonnier a voulu colporter cela dans toute l’Europe. » Il feint donc d’être insensible à toutes ces rumeurs comme à toutes les prières, et fait dire par ses ministres qu’il n’admet pas « que qui que ce soit se mêle de ses affaires domestiques. » Cependant, il est troublé. Il pense à faire une déclaration publique, et prépare un manifeste aux puissances. Enfin, il n’était pas aussi maître qu’il disait, de décider seul en cette affaire domestique. Il n’était pas seulement roi, il était électeur de Brandebourg. Frédéric n’était pas