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groschen et le souper quatre. Il lui fait enlever sa flûte et défend qu’on lui en procure une autre.

Cependant les commissaires préparaient un second interrogatoire, et l’auditeur général Mylius dressait une liste de questions. À cette procédure de juristes, le roi ajouta un supplément de sa façon, cinq questions inusitées en justice. Mylius hésitait à les introduire ; il voulait être couvert par un ordre du roi contre toute responsabilité ultérieure. « J’ai dicté moi-même ces articles à mon secrétaire, écrivit le roi. Je vous commande d’exécuter mes ordres sous ma responsabilité. » Le grand interrogatoire eut lieu, le 16 septembre. Le prince avait fini avec les cent soixante-dix-huit premières questions, qui portaient sur le projet de fuite, sur les négociations relatives au mariage et sur les événemens des dernières années. Vinrent les questions du roi.

D. Que mérite-t-il, et à quelle peine s’attend-il ? — R. Je me soumets à la grâce et à la volonté du roi.

D. Que mérite un homme qui brise son honneur et complote une désertion ? — R. Je ne crois pas avoir manqué à l’honneur.

D. Mérite-t-il de devenir roi ? — R. Je ne puis être mon propre juge.

D. Veut-il qu’on lui fasse cadeau de la vie ou non ? — R. Je me soumets à la grâce du roi et à sa volonté.

D. Comme il s’est rendu incapable par le bris de son honneur de succéder au trône, veut-il, pour conserver sa vie, abdiquer sa succession et y renoncer, de façon que cette renonciation soit confirmée de tout l’empire romain ? — R. Je ne tiens pas tant à la vie, mais Sa Majesté Royale n’usera pas envers moi de tant de rigueur.

Questions redoutables, qui laissaient voir l’état d’esprit et les intentions du suprême juge, le roi. Réponses étonnantes, — après la fatigue de cet interrogatoire, — d’un accusé de dix-huit ans, admirables par la précision des paroles qui disent tout exactement ce qu’elles veulent dire, et par cette façon de dignité, qui sait ne rien compromettre. Le prince avait habilement glissé dans la première partie de l’interrogatoire des expressions de regret, et plaidé la circonstance atténuante de sa jeunesse. A la fin, troublé peut-être par les dernières questions, et ne voulant pas laisser partir les commissaires sur ce « je ne tiens pas à la vie, » il fit une déclaration dont il demanda l’insertion à la suite du protocole. « Il reconnaissait qu’en tout, pour tout, sur tous les points, il avait eu tort ; que ce qui lui faisait le plus de peine, c’était le chagrin qu’éprouvait Sa Majesté ; il priait Sa Majesté de croire que son intention n’avait jamais été criminelle ; qu’il n’avait pas cherché à faire la moindre peine à Sa Majesté Royale ;