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d’esprit remarquable, il demanda 15,000 thalers, alors qu’il n’en devait que 7,000. Il ne s’engagea point à renoncer à son projet ; il promit seulement de ne pas s’enfuir de Potsdam, si son père l’y laissait, au lieu de le prendre avec lui dans le voyage. Pendant cette conversation de nuit, Katte faisait le guet. Tout cela était très romanesque, mais d’une imprudence enfantine.

Deux ou trois jours après, le roi partait pour Potsdam. Le prince apprenait que son père, après beaucoup d’hésitations, avait décidé de l’emmener avec lui à Anspach. Le 14 juillet, veille du départ, il mandait Katte à Potsdam. Celui-ci vint le soir sans permission, bien entendu, et il fallut prier l’officier qui était de garde à la porte de ne pas signaler son passage. Katte trouva le prince dans le parc. Pendant deux heures, ils causèrent. Frédéric redit ses raisons de fuir ; il venait encore d’être maltraité à Potsdam, et si rudement, qu’il finissait par craindre pour sa vie. Katte lui fit quelques objections, mais promit de le suivre. Seulement, il ne pouvait partir immédiatement ; il devait attendre la permission, qu’il avait sollicitée, d’aller en recrutement. Il conseilla donc au prince de remettre sa fuite à la fin du voyage : le roi devait rentrer dans ses états par Wesel ; de là, il serait facile de gagner la Hollande. Ainsi, les deux complices établissaient leur projet sur une hypothèse, puisqu’il n’était pas sûr que Katte obtînt le congé demandé. Ils n’avaient rien arrêté de précis, lorsqu’ils se séparèrent, après que minuit avait sonné. Ils avaient convenu de correspondre, — ce qui était une nouvelle imprudence, — par l’intermédiaire d’un cousin de Katte, le Rittmeister Katte, qui se trouvait en tournée de recrutement à Erlangen, à portée d’Anspach.

Le lendemain, 15 juillet, le prince, avant de partir, écrivait à Katte pour lui confirmer sa résolution de s’enfuir au début du voyage. Il lui donnait rendez-vous à Cannstatt, sans savoir même si le lieutenant pourrait s’y trouver en même temps que lui. Le page qui porta cette lettre remit à Katte quelques objets dont le prince ne voulait pas se séparer, parmi lesquels se trouvaient ses musicalia. Katte avait déjà entre les mains les bijoux de Frédéric et les insignes de l’ordre de l’Aigle blanc de Pologne, dont les diamans avaient été vendus et remplacés par de fausses pierres. Le prince lui avait confié l’argent du voyage, environ 3,000 thalers.

La première nuit fut passée à Meuselwitz, chez le comte de Seckendorf, général autrichien, et grand ami de Frédéric-Guillaume, auprès duquel il représentait sans qualité officielle, à titre de persona grata, la cour de Vienne ; personnage équivoque, adversaire cauteleux et puissant de la reine et du prince et de Wilhelmine, et dont les menées avaient efficacement contribué à la