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accompagné de petites tapes sur la joue, qui devinrent de plus en plus fortes et finirent par ressembler à des soufflets. Le prince royal avait douze ans quand se produisit en public ce premier témoignage du désaccord entre son père et lui. Impatient de toute contradiction, persuadé que sa façon de voir et de faire, meine Verfassung, comme il disait, était la seule qui convînt au gouvernement de la Prusse, Frédéric-Guillaume en vint vite à penser que c’était un grand malheur d’avoir un héritier comme celui-là.

Une affaire de famille, compliquée de politique et d’intrigues, acheva de l’exaspérer. La reine de Prusse était fille de George Ier, électeur de Hanovre et roi d’Angleterre ; elle désirait passionnément marier sa fille aînée, Wilhelmine, au petit-fils de ce prince, le duc de Glocester, et son fils Frédéric à la princesse Amélie, sœur du duc de Glocester. Frédéric-Guillaume désirait aussi ce double mariage, mais il ne voulait pas se lier à l’Angleterre ; il faisait des réserves, des conditions, hésitait, se défiait, se fâchait, et se démenait dans le tumulte de pensées où il se précipitait chaque fois qu’il avait à prendre un parti dans les affaires générales. La cour de Vienne, servie par ses agens et par des traîtres qu’elle payait dans l’entourage du roi, contrecarrait la reine ; celle-ci négociait secrètement avec l’Angleterre et avec la France, alliées alors et qui souhaitaient toutes deux le double mariage. Elle compromettait dans ses manœuvres son fils et sa fille. Le prince royal, à quatorze ans, avait sa politique opposée à celle de son père ; il était en relations d’intime confidence avec les ministres étrangers ; un de ceux-ci s’offrait à lui former « un parti, » et l’enfant se prêtait à ce petit complot. Il cherchait la popularité, affectait de dédaigner ceux que son père honorait de ses faveurs, de plaindre ceux qu’il frappait de sa disgrâce. À ce prince héritier, si jeune qu’il fût, l’attente de l’héritage paraissait longue.

Le roi ne savait pas le détail de ces intrigues, mais il sentait dans sa maison un air d’indiscipline et de rébellion. Fritz ne résistait pas ouvertement, mais il marquait son opposition par toute sa tenue, par la lèvre qui se tait, le regard qui se dérobe. Il exagérait les défauts qu’il savait être les plus désagréables au roi ; les qualités qui étaient en lui, semblables à celles de son père, et que son père eût aimées avec toute la tendresse dont il était capable, il les cachait soigneusement. Du futur Frédéric, il ne laissait paraître que le liseur, le pfilosophe, comme il s’appelait lui-même, l’ami et l’admirateur des Français, le dilettante qui, au milieu d’une chasse, s’échappait pour aller à l’écart jouer de la flûte. Un malentendu redoutable grandissait entre ces deux êtres. Le roi perdit toute retenue et toute décence ; il cria, tempêta ; après les injures vinrent les coups. Des scènes d’odieuse brutalité se