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chancelier ; on le lui fit entendre et comprendre. Dans le public, on disait couramment qu’il était en passe de devenir chancelier, premier ministre, « si la corde ne rompoit, » ajoutait malignement Guy-Patin, écho de ces dires. Bref, ce fut Foucquet lui-même qui se découvrit en vendant à M. de Harlay sa charge, moyennant 1,400,000 livres. Le soir même, Louis XIV disait à Colbert : « Tout va bien ; il s’enferre de lui-même. Il m’est venu dire qu’il fera porter à l’épargne tout l’argent de sa charge. » Si ce ne fut pas tout l’argent, ce fut du moins un million qu’il mit à la disposition du roi, dans les caves du château de Vincennes.

Élève de Mazarin, aussi dissimulé que le fourbe italien, sinon davantage, Louis XIV se fit inviter par son magnifique sujet à cette illustre fête de Vaux, dont on a tant et si souvent célébré les merveilles qu’il n’y a plus rien à en dire. Voulut-il en finir ce jour-là, le 17 août ? Depuis cinq jours, Foucquet avait cessé d’être procureur-général. La vérité est que le roi y vint avec les reines et toute la cour, ce qui était bien de fête, mais aussi avec une grande escorte de gardes françaises, tambour battant, ce qui était d’un autre air. Mme de La Fayette a dit que « le roi fut étonné et que Foucquet le fut de remarquer que le roi l’étoit. » Étonné ne suffit pas ; c’est choqué qu’il faut dire, choqué de ce grand éclat. Déjà blessé dans son orgueil d’homme et d’amoureux, le souverain se sentit atteint dans sa gloire. Il paraît certain qu’il fut au moment de faire arrêter au milieu de la fête l’homme dont il avait accepté d’être l’hôte, et que, s’il ne donna pas suite à cette odieuse pensée, ce furent les représentations d’Anne d’Autriche qui le retinrent.

La crise se précipitait. Louis XIV avait décidé un voyage à Nantes, où se tenaient les états de Bretagne. Quelques jours avant le départ, Foucquet, s’entretenant avec Gourville, voulut savoir ce qu’on disait de lui. « Les uns, répondit le confident, disent que vous allez être déclaré premier ministre, les autres qu’il se forme une grande cabale pour vous perdre. Ces derniers sont si assurés de faire réussir leur projet qu’un de leurs amis m’a proposé d’entrer auprès de votre successeur. J’ai répondu comme je le devois. Un autre, à propos du voyage de Nantes, vous a comparé à ce favori d’un empereur qui faisoit voyager son maître afin de pouvoir manger des figues d’un jardin qu’il avoit en ces quartiers-là ; vous emmenez le roi à Nantes pour avoir l’occasion d’aller à Belle-Isle. Vous savez bien qu’ignorant comme je suis de toutes sortes d’histoires, je n’ai pas deviné cette comparaison. » Belle-Isle était bien pour quelque chose dans le voyage, mais du roi et de Foucquet celui qui s’en préoccupait le plus ce n’était pas Foucquet et ce n’était pas lui qui emmenait Louis XIV à Nantes. La veille du