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cas d’un ami fait comme vous. Elles m’ont donné charge de vous remercier de leur parti de l’effort que vous avez fait et de vous assurer qu’elles en conservent le souvenir. Il faudra que vous repreniez cette somme sur le premier argent qui viendra des affaires qui sont sur le tapis. » Belles paroles ! La seule chose dont Mazarin fût prodigue ; il n’en tarissait point.

La fortune est revenue ; le ton change. Il est vrai qu’il s’agit, dans la circonstance, des affaires privées de Mazarin, et que Mazarin est incité par Colbert. Qui pourrait le croire ? Mazarin, cardinal, premier ministre, s’est fait munitionnaire ; c’est lui qui a l’entreprise du pain de munition ! Il a fait des avances ; il attend son dû, il réclame, il dépêche Colbert à Foucquet. Foucquet n’a pas d’argent sous la main, il promet le remboursement sur une prochaine affaire de finance : Colbert refuse, et Mazarin écrit à Colbert : « Vous pourrez dire à M. le procureur-général qu’il eût été bon que j’eusse été remboursé de ces dernières avances par des affaires faites et non par celles qu’il projette de faire… Il me semble que, sans présomption, je pourrois être considéré comme les autres qui ont fait des avances et qui ont été remboursés sur les dernières affaires et qui sont payés des intérests jusqu’au dernier sol, pendant que je ne sais pas ce que c’est que d’avoir un denier d’intérest. » Pour qui connaîtra rapacité de Mazarin, ce dernier trait est d’une rare impudence.

Foucquet, touché au vif, va récriminer à son tour. Il sait qu’il a des ennemis et que ses ennemis ont l’oreille du cardinal ; il sait qu’on lui impute d’avoir fait rembourser 25 millions de vieilles dettes sur les meilleurs fonds : « Je serois bien hors de sens, répond-il, si je faisois rembourser des 25 millions de vieux billets et que je ne me fisse pas rembourser moy-même les avances que j’ay faites pour causes légitimes et toutes récentes, et qui me ruineroient pour peu que je manquasse les intérests à ceux de qui j’ay emprunté. Je ne ferois pas tant gagner de millions à des gens qui me sont fort indifférens, tandis que mes proches et moy sommes en dettes et dans l’incommodité, et j’aurois peu de jugement si au moins je ne tirois Votre Éminence de ce qui luy reste dû, puisque je ferois ma cour, et ce seroit une chose facile et assez politique… Ce qui me touche fort sensiblement, ce sont les termes de la lettre de Votre Éminence, qui porte qu’elle espéroit sortir de ses avances comme les autres. Je la puis asseurer que non-seulement les autres n’en sont pas sortis, mais que je suis engagé moy-même de 300,000 livres plus que je n’estois au commencement de l’année. » Mazarin se radoucit, du moins en apparence. « Je voudrois bien, écrit-il à l’abbé Foucquet, frère du surintendant, que le procureur-général ne donnât point tant de créance à ceux qui, pour