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pouvait connaître la journée rare, l’heure mystérieuse où les caisses étaient par fortune en état de payer, en sorte que des titres achetés à vil prix finissaient par procurer aux détenteurs un bénéfice considérable. Le premier de ces rusés et peu scrupuleux personnages, au su et au vu non-seulement de Foucquet, mais de Colbert, c’était Mazarin. C’était à lui aussi que, dans l’adjudication ou le renouvellement des baux et traités d’affermage, revenaient les grosses remises, autrement dit les grands pots-de-vin.

Cependant le cardinal n’était pas satisfait, pour l’État comme pour lui-même : l’argent ne venait pas assez vite, les prêteurs ne se montraient pas, et Servien n’était pas fait pour les attirer. Sorti de la diplomatie, et peu au courant des finances, il était jaloux de Foucquet, qui les entendait beaucoup mieux ; les deux surintendans n’étaient presque jamais d’accord, et la machine financière, mal attelée, ne marchait que par à-coups. La communauté n’ayant pas réussi, Mazarin fit entre les doux collègues un règlement d’attributions : à Foucquet le département des recettes, à Servien celui des dépenses. Ce règlement était du 24 décembre 1654. Il y était dit en substance que Servien donnerait les assignations et ferait tout l’ordonnancement ; que Foucquet pourvoirait au recouvrement des fonds, négocierait les emprunts, conclurait les traités et ferait compter les traitans.

Voici en quelques traits de plume le croquis de l’administration financière. La surintendance ne relevait que du roi. Elle présidait aux opérations de finance ; mais comme elle n’avait pas le maniement des fonds, elle n’était pas justiciable des chambres des comptes. Elle était assistée d’un conseil dont le rôle était seulement consultatif, et qui se composait d’un contrôleur-général avec une douzaine d’intendans. C’était par ses ordres et sous sa surveillance que le premier commis de l’épargne tenait un registre qui montrait d’un côté la nomenclature des fonds provenant ou à provenir des recettes diverses ; de l’autre, en regard, la série des assignations délivrées sur ces fonds ; les ordonnances de comptant étaient portées sur un livre distinct. En tête des comptables figuraient les trésoriers de différens ordres, à commencer par ceux de l’épargne, puis les receveurs-généraux et particuliers, enfin la foule des percepteurs, collecteurs, payeurs, du haut en bas, toute la catégorie de ces gens aux mains généralement gluantes.


III

Si les recettes étaient attribuées particulièrement à Foucquet, c’est que les recettes comprenaient les emprunts, la grande, la