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ne laissaient pas de se considérer en fait comme ses égaux et ne se faisaient même pas faute de prendre à l’occasion sur lui leurs avantages. Quand le procureur-général avait déposé sur le bureau des conclusions, il advenait parfois que, sous couleur de les développer et de les soutenir, les avocats-généraux commençaient par tirer sur la trame, et finissaient par la réduire en guenille. Le personnage de comédie qui brandit son sabre, en jurant de s’en servir pour défendre les institutions et au besoin pour les combattre, n’est pas aussi moderne qu’il en a l’air. Ainsi faisaient, surtout dans des temps troublés comme ceux de la Fronde, les gens du roi qui plaidaient, à l’occasion, contre le roi. En 1650, les deux avocats-généraux étaient Orner Talon et Jérôme Bignon, deux hommes de valeur, mais point du tout mazarins, entichés, imbus, pénétrés qu’ils étaient de l’esprit parlementaire. Le procureur-général d’alors, un bonhomme du nom de Méliand, se sentait incapable de leur tenir tête. Mazarin lui persuada de résigner son office en faveur de Foucquet, moyennant cent mille écus d’argent comptant et cinquante mille autres écus que représentait la charge de maître des requêtes dont fut pourvu le fils de Méliand.

Déjà riche de ses propres et de son premier mariage, Foucquet allait augmenter considérablement sa fortune en épousant une héritière encore mieux pourvue, Marie-Magdelaine de Castille. C’est un point très important à noter que, dès cette époque, le futur surintendant était déjà plus que millionnaire. Un autre fait, sinon de la même importance, tout au moins d’un certain intérêt historique, c’est qu’en ce temps-là, Colbert était avec lui dans les meilleurs termes. De quatre ans plus jeune, le fils du marchand de laines, après avoir appris le commerce dans la boutique paternelle et la procédure dans une étude de praticien, était parvenu au bureau de la guerre, où il avait acquis la confiance du secrétaire d’état Le Tellier, en attendant celle de Mazarin et plus haut encore celle de Louis XIV. « J’ai cru, écrivait-il à Le Tellier, au moment où Foucquet allait être procureur-général, qu’il étoit bien à propos, étant homme de naissance et de mérite particulier, et en état même d’entrer un jour dans quelque charge considérable, de lui faire quelques avances de votre part. Si vous approuvez mon sentiment en cela, je vous supplie de me le faire sçavoir, ne pouvant m’empêcher de vous dire que je ne croirois pas pouvoir payer en meilleure monnoie une partie du tout que je vous dois qu’en vous acquérant une centaine d’amis de cette sorte. »

Installé procureur-général vers la fin de 1650, Foucquet traversa les orages des deux années suivantes avec une dextérité merveilleuse. Il fallait avoir le coup d’œil sûr, la main prompte, la nui-œuvre adroite pour louvoyer et maintenir sa barque au milieu