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quant aux griefs dont il lui paraît difficile d’innocenter son client, il les explique en les replaçant dans leur milieu, dans leur vrai cadre, avec le cortège des circonstances qui les doivent atténuer.

Ce n’est pas que d’abord et de parti-pris M. Lair se soit fait d’emblée le défenseur de Foucquet : avant de se trouver en opposition avec M. Chéruel, il a commencé par être du même bord ; c’est l’examen attentif, consciencieux, répété des pièces du procès qui lui a donné à réfléchir, et quand sa conviction a été faite, il n’a pas hésité à désavouer publiquement l’opinion qu’il avait prématurément émise. « Étudiant une autre histoire, celle de Louise de La Vallière, dit-il dans une sorte d’avant-propos, et trouvant le personnage épisodique de Foucquet, j’ai pris, au sujet du surintendant, l’opinion toute faite non-seulement par de bons esprits de notre temps, mais par des contemporains en crédit. Personne naturellement ne s’est inquiété de mon appréciation ; elle me restait cependant sur l’esprit, comme un remords de conscience. Je revenais à ma victime avec toutes mes préventions et le secret désir de ne m’être pas trompé ; mais, à chaque séance, un trait du visage se modifiait, un autre s’éclaircissait. Au bout d’un an ou deux de ces retours inquiets, n’y tenant plus, j’ai entrepris cette œuvre. »

L’œuvre a toutes sortes de droits à l’attention du public. Elle est très étudiée, très préparée, très érudite, et, comme disent les peintres, elle a de solides dessous ; en même temps, l’exécution est d’un artiste. Ancien élève de l’École des chartes, M. Lair a le rare, le très rare mérite d’en avoir gardé les excellens principes sans se croire astreint à toutes les rubriques, à toutes les prescriptions du rituel. Il a le culte, mais non pas la superstition du document : il sait choisir, classer, proportionner, mettre en perspective ; en un mot, il sait composer, et qui plus est, il sait écrire. Sa plume vive, alerte, souvent piquante, a le mouvement et le trait ; le lecteur peut être surpris, il n’est jamais ennuyé. C’est beaucoup, pour écrire l’histoire, d’avoir passé par l’Ecole des chartes et d’être un écrivain doublé d’un érudit : pour écrire en particulier l’histoire de Foucquet, il fallait peut-être quelque chose de plus, et ce quelque chose, à savoir la compétence financière, s’est trouvé justement être dans l’apanage de M. Lair ; en effet, sur la couverture de son livre, à son titre d’ancien élève de l’École des chartes il aurait pu ajouter ceux de directeur des magasins généraux de la Villette et de président de l’ancienne société des téléphones. L’homme d’affaires ne nous gâte rien, au contraire, il va nous être ici de l’utilité la plus évidente.