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REVUE DES DEUX MONDES.

Ses anciennes résolutions avaient fondu sous l’ardente tendresse qui le pénétrait chaque jour plus profondément. S’il était toujours muet sur ses sentimens, il n’était plus impénétrable, ses regards trahissaient ce que ses paroles ne disaient pas encore, mais le moment venait où l’aveu ne pourrait plus se contraindre. Depuis qu’elle se devinait aimée, Mireille pouvait attendre. Elle n’eut rien fait pour hâter le triomphe de ses espérances ; ne lui suffisait-il pas de cheminer dans son rêve radieux puisqu’à sa fantaisie elle en pouvait faire une non moins radieuse réalité ? Pourtant un nuage avait plané parfois sur cette félicité. L’été prenait fin et, avec la saison froide qui commence tôt dans la montagne, autant qu’avec le choléra dont on signalait le déclin, l’heure des adieux se faisait inévitablement proche.

Au-delà l’avenir se voilait. Pouvait-elle mesurer la durée de la séparation qui se préparait et la série d’épreuves destinées à en augmenter l’amertume ?

Aussi avec quelle joie elle saluait ce changement de garnison qui aplanissait en apparence bien des difficultés !

Le lendemain, le hasard voulut que la procession de Beauvezer croisât le détachement de chasseurs du capitaine de Vair, en marche vers Thoraine-Basse, sa première étape.

Un reposoir, dressé à l’entrée du village, barrait à moitié la route. Dans l’enroulement de leurs longues files, les congréganistes vêtues de blanc, les pénitens à la noire cagoule, la troupe rouge des enfans de chœur, l’enserraient presque entièrement et, au-dessus de son dôme à nappe retombante de volubilis pâles, flottaient les bannières bleues brodées d’or, au chiffre de Marie.

Dans un nuage d’encens et sous une pluie de fleurs, le dais de velours s’avançait. Vivement ployés en colonne de pelotons, les chasseurs avaient fait halte, baïonnettes au clair, clairons sonnant aux champs. Et lorsque le prêtre éleva l’ostensoir d’or au-dessus de la foule courbée des fidèles, il l’inclina avec émotion vers ce détachement de soldats français, genou en terre, à qui Dieu avait voulu ménager, au moment de quitter le pays, l’adieu touchant de cette bénédiction.

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Lui et elle se virent cette dernière fois dans les Alpes, leurs regards se rencontrèrent pleins d’une ardente promesse de revoir, et les chasseurs continuèrent leur étape, tandis que la procession reformée serpentait encore autour du village avant de s’engouffrer dans l’église.

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(La deuxième partie au prochain n°.)